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Des sandwichs de silicium au menu du HL-LHC

De nouveaux capteurs silicium sauront mieux distinguer les particules issues des multiples collisions

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Silicon sandwiches feed LHC’s upgraded collision appetite

Les capteurs sont placés avec soin dans le banc d'essai, où une tension élevée leur est appliquée au moyen d'aiguilles. Les équipes doivent des vêtements de protection (Image : Ulysse Fichet/CERN)

Dans un laboratoire spécial, une salle blanche préservée des poussières, tout près de la frontière franco-suisse, un groupe de physiciens passe son temps à tester des hexagones de siliciums grands comme la main.

Ces hexagones sont épais d'une fraction de millimètre et sont constitués de centaines de petits hexagones, qui sont autant de capteurs mesurant environ un centimètre. Associés à des couches de métal, les capteurs forment un nouveau sous-détecteur qui remplacera une partie des calorimètres du bouchon dans l'expérience CMS.

Un calorimètre mesure l’énergie perdue par la ou les particules qui le traversent. Généralement, il est conçu pour arrêter entièrement, ou « absorber » la plupart des particules issues d'une collision. Les nouveaux capteurs seront utilisés pour mesurer l'énergie et le temps d'arrivée des particules qui fusent sous la forme de débris depuis le point de collision au centre de l'expérience, et reconstituer leur trajectoire.

Ce sera la première fois que ce type de capteur en silicium sera utilisé dans le calorimètre d'un détecteur de particules à aussi grande échelle. 

Eva Sicking travaille sur le banc d'essai. Elle explique : « Actuellement nous utilisons des aiguilles de sondage pour créer un contact avec la cellule que nous voulons tester et ses voisines immédiates, mais nous sommes aussi en train de développer une carte de sondage, munie d'une série d'aiguilles, ce qui nous permettra d'abaisser la carte et de connecter toutes les aiguilles pour tester toutes les cellules des capteurs en un seul mouvement ; cela nous évitera des manipulations minutieuses pour placer séparément les huit aiguilles. »(Image : Ulysse Fichet/CERN)

Ces capteurs s'inscrivent dans un projet d'amélioration plus large, dont le but est de s'assurer que les expériences sont en mesure de faire face à un plus grand nombre de collisions de particules après le relèvement de la luminosité du LHC (projet HL-LHC), en 2025, et le potentiel accru de découverte qui y est associé.

La technologie actuelle utilise de longs cristaux transparents en tungstate de plomb. Ceux-ci ont la capacité de résister au rayonnement dans les détecteurs, mais, exposés au rayonnement plus élevé du HL-LHC, ils s'abîmeraient et pourraient être incapables de détecter les particules les traversant après 2025.

 

Les capteurs constituent le cœur du nouveau sous-détecteur, qui remplacera le bouchon actuel de CMS (voir photo) (Image: David Barney/CERN)

« Les cristaux de tungstate de plomb que nous utilisons actuellement sont conçus pour un nombre de collisions relativement réduit, et un environnement de faible rayonnementDans le HL-LHC, il y aura des centaines de collisions à la fois, et c'est pourquoi nous avions besoin d'éléments capables de résister au rayonnement accru et ayant une résolution suffisante pour des gerbes de particules très proches dans l'espace et dans le temps », explique Eva Sicking, physicienne appliquée et responsable de ce projet.

« Nous voulons être en mesure de distinguer les différentes particules visibles, et savoir aussi de quelles collisions elles proviennent. »

« Ces capteurs, non seulement offrent un système plus radiorésistant, mais apportent également davantage d'informations sur le cheminement exact des particules. Ils nous donnent aussi de précieuses informations temporelles, nous permettant de déterminer précisément le moment d'arrivée de ces particules, et, grâce aux petites cellules, ils peuvent le faire pour un grand nombre de collisions à la fois, » poursuit Andreas Maier, qui travaille lui aussi sur le projet.  

Des sandwichs de métal

Afin de garantir cette fonctionnalité, en remplacement de longs cristaux, l'équipe met au point une construction en sandwich : des couches de capteurs alternant avec des couches d'un métal lourd comme le plomb. 

Une équipe de chercheurs de CMS a déjà testé le premier prototype de calorimètre sandwich au moyen de particules isolées, mais, dans le HL-LHC, il y aura des collisions multiples au même moment et des centaines de particules résultantes traverseront les capteurs en même temps. Le prototype est constitué de silicium et de métaux denses - l'image montre les couches alternées de métal et le capteur silicium (Image: David Barney/CERN)

Pour tester chaque capteur dans le sandwich, l'équipe utilise un banc d'essai spécial doté de huit aiguilles reposant sur une plaque à vide. La plaque tient fermement en place les capteurs au silicium délicats et onéreux, de façon à pouvoir manœuvrer et abaisser les aiguilles, et les connecter aux points de contact marqués sur chaque capteur. L'équipe applique ensuite au capteur une tension élevée afin d'enregistrer les données qui seront utilisées pour évaluer la qualité du capteur. 

À l'aide du banc d'essai, les physiciens évaluent la tension qui peut être appliquée à chaque capteur - plus les capteurs peuvent supporter une tension élevée, mieux les particules peuvent être détectées. Des impuretés dans les cristaux, ou des dommages causés à ces derniers, peuvent provoquer un fort courant de fuite dans le capteur. Une cellule de ce type générera un courant important, ce qui rendra l'utilisation de l'ensemble du capteur difficile, voire impossible. (Image: Ulysse Fichet/CERN)

À l'aide d'instruments sensibles, l'équipe est capable de déterminer l'intensité du courant électrique généré dans le capteur, ainsi que la capacité électrique. Si l'une ou l'autre mesure dépasse un certain niveau, le capteur ne pourra pas être utilisé car il générera du bruit interférant avec les données obtenues à partir des traces de particules. Si le bruit est trop important, les chercheurs pourront évaluer la présence d'un problème au niveau de la production. Si un problème est détecté, ils veilleront à ce qu'il soit résolu par les fabricants avant la production des véritables capteurs.

Tous les capteurs qui seront utilisés par la suite passeront par ce processus, soit au CERN, soit dans d'autres instituts.

 

Optimiser la consommation d'électricité

La mesure du courant est une étape particulièrement importante car elle peut avoir une incidence sur la quantité de puissance et d'énergie nécessaire lorsque la machine est en fonctionnement. 

Le logiciel montre le passage du courant à travers chaque capteur. La mosaïque constituée de nombreux petits capteurs est représentée en bas à droite (Image: Andreas Maier/CERN)

« Dans un monde idéal, le capteur ne présenterait aucun courant de fuite, mais, dans la réalité, des impuretés sont introduites au stade de la production. Le courant que nous mesurons est donc un indicateur de la qualité de la production », explique Florian Pitters, un autre membre de l'équipe.

Un courant de fuite est acceptable en dessous d'un certain niveau, mais il est amplifié lorsque l'on intègre des capteurs supplémentaires. Le système d'alimentation électrique et de refroidissement doit alors faire face à une plus grande quantité d'énergie et de chaleur dissipée.

« Environ 25 % de la facture d'électricité finale ne concernera que le courant de fuite. C’est donc une bonne chose si l’on peut le supprimer » Andreas

En cas du moindre problème dans les capteurs définitifs, l'ensemble de la mosaïque pourrait court-circuiter, ce qui la rendrait inutilisable. Ces tests sont donc cruciaux pour s'assurer que l'ensemble du détecteur fonctionne le mieux possible et que ces éléments ne sont pas un obstacle à de futures découvertes.

« Sur certains éléments, on a fait des erreurs qui étaient indétectables tant qu'on n'avait pas fait de tests. Plusieurs fois, nous avons dû abandonner les solutions que nous avions envisagées, et opter pour une autre solution. Ainsi va la recherche », termine Andreas.