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Neutrinos : après le prix Nobel, la chasse continue

Le prix Nobel de physique 2015 récompense les recherches menées de longue date pour comprendre l’insaisissable neutrino.

Vue du détecteur SNO au Canada lors de sa construction (Image: SNO)

Le CERN félicite les deux lauréats du prix Nobel de physique 2015, Takaaki Kajita, de la collaboration Super-Kamiokande, au Japon, et Arthur B. McDonald, de l’Observatoire des neutrinos de Sudbury, au Canada. Ils ont reçu le prix pour : « la découverte d’oscillations de neutrinos, montrant que les neutrinos ont une masse ». Les deux expériences ont démontré chacune que les neutrinos peuvent se transformer, ou « osciller » d’un type en un autre. Cette découverte, faite au début du nouveau millénaire, plus de 40 ans après la prédiction du phénomène par le physicien italien Bruno Pontecorvo, a éclairé notre compréhension de l'Univers.

Il existe dans la nature trois types de neutrinos : le neutrino électronique, le neutrino muonique et le neutrino tauique. Mais les neutrinos sont, semble-t-il, les caméléons du monde subatomique, car ils peuvent passer d’un type à l’autre. Ce phénomène, appelé « oscillation », se produit lorsque les neutrinos parcourent de longues distances. Les neutrinos sont difficilement détectables, car ils n’interagissent que très faiblement aves les autres particules, et par conséquent rarement avec la matière.  

Le détecteur Supe-Kamiokande au Japon (Image: Kamioka Observatory/ ICRR/ University of Tokyo)

L’Observatoire Kamioka, qui accueille l’expérience Super-Kamiokande, est un laboratoire de pointe pour la physique des neutrinos. Il a été créé dans les années 1980 en tant qu’expérience de désintégration du nucléon (d’où le nom KamiokaNDE, pour Kamioka Nucleon Decay Experiment), et s’est imposé par la suite comme un laboratoire neutrinos de premier plan, permettant à Masatoshi Koshiba d’obtenir en 2002 un prix Nobel pour l’observation de neutrinos cosmiques. L’Observatoire des neutrinos de Sudbury est relativement récent, puisqu’il a lancé son programme de recherche en 1999 par une campagne visant à mesurer l’oscillation des neutrinos venant du Soleil. L’observatoire a publié des résultats concluants en 2001, venant compléter les mesures de Super-Kamiokande montrant des oscillations de neutrinos produites dans l’atmosphère de la Terre.

La découverte de l’oscillation des neutrinos a d’importantes conséquences pour notre compréhension de la nature, de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Le processus d’oscillation est directement lié à la masse des neutrinos : l’oscillation n’est possible que si les neutrinos ont une masse, aussi infime soit-elle. Les neutrinos étant abondants et omniprésents, le fait qu’ils aient même une toute petite masse a des conséquences majeures pour l’Univers tout entier.

Les laboratoires souterrains que sont le Kamioka et l’Observatoire des neutrinos de Sudbury sont des sites de premier ordre pour la physique des neutrinos, mais les laboratoires exploitant des accélérateurs ont également un rôle à jouer. Le CERN utilise depuis longtemps des faisceaux de neutrinos pour mettre à l’épreuve la validité du Modèle standard des particules et des forces. En 1973, grâce à un faisceau de neutrinos, des chercheurs ont mis en évidence dans le détecteur Gargamelle du CERN les courants neutres faibles, phénomène montrant que la force faible et la force électromagnétique sont des manifestations différentes d'une même force, appelée aujourd’hui force électrofaible.

À la fin des années 1970, deux nouvelles expériences, CDHS et CHARM, utilisèrent un faisceau de l’accélérateur SPS pour sonder la structure interne des protons et des neutrons, étudier le Modèle standard et également faire la lumière sur les neutrinos eux-mêmes.

Dans les années 1990, le Grand collisionneur électron-positon (LEP), installé dans le tunnel qui abrite aujourd'hui le Grand collisionneur de hadrons (LHC), a permis de montrer qu’il n’existe que trois types de neutrinos légers. Enfin, entre 2006 et 2012, grâce à un faisceau de neutrinos envoyé par le CERN vers le Laboratoire national italien du Gran Sasso, de l’INFN, à une distance de 732 kilomètres, en Italie, les chercheurs du Gran Sasso ont pu mieux comprendre l’oscillation des neutrinos en observant l’apparition de particules tau dans un faisceau constitué exclusivement de neutrinos muoniques.

Près de 90 ans après leur prédiction par Wolfgang Pauli, et 60 ans après leur découverte expérimentale, les neutrinos restent les particules les plus mystérieuses de la nature connue, faisant l'objet d'un important programme d’expérimentation à l’échelle mondiale. Dans le cadre de la stratégie européenne pour la physique des particules, le CERN a inauguré fin 2014 une nouvelle installation. La plateforme neutrino du CERN sert en effet de pôle pour la participation de l’Europe à la recherche mondiale sur les neutrinos, en vue de développer la prochaine génération de détecteurs de neutrinos. En décembre 2014, la plateforme neutrino du CERN a réceptionné le détecteur ICARUS, transporté depuis le Laboratoire national du Gran Sasso, où il étudia jusqu’en 2012 les faisceaux de neutrinos envoyés par le CERN. Ce détecteur de 760 tonnes est actuellement en cours de rénovation au CERN. En 2017, il sera transporté vers le Fermilab, aux États-Unis, où il sera l’objet d’un programme spécialement consacré aux neutrinos. Par ailleurs, des scientifiques de la plateforme neutrino du CERN participent également à des travaux de recherche et de développement auprès de l’installation neutrino longue distance du Fermilab.