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Premiers essais pour une usine à photons

Des atomes de xénon partiellement ionisés ont été accélérés dans le SPS, pour tester un nouveau principe de source de rayons gamma

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Xenon in the SPS: First tests for a photon factory

Le Supersynchrotron à protons (SPS) lors d'un arrêt technique (Image: Max Brice/CERN)

Les opérateurs des accélérateurs réalisent d’étonnantes acrobaties avec les faisceaux. Leur dernière prouesse en date s’est déroulée dans le Supersynchrotron à protons (SPS), deuxième plus grand accélérateur du CERN. Ils ont réussi pour la première fois à y injecter un faisceau d’atomes de xénon partiellement ionisés, puis à l’accélérer. Avant d’être injectés dans le SPS, ces atomes ont été dépouillés de 39 de leurs 54 électrons.

Lors du premier essai, en septembre, le faisceau avait été injecté, puis avait circulé une seconde environ. Cette fois-ci, le faisceau a pour la première fois été accéléré, atteignant l’énergie de 81,6 GeV par nucléon.

La performance est remarquable car ces faisceaux d’atomes de xénon partiellement ionisés sont extrêmement fragiles, et ont une durée de vie très courte. Si un seul des 15 électrons est arraché de son atome, ce dernier change d’orbite et est perdu. « Le vide du SPS n’est pas aussi poussé que dans le LHC. Les molécules de gaz résiduelles dans la chambre à vide perturbent le faisceau, ce qui explique qu’on le perde assez vite, explique Reyes Alemany, responsable des essais dans le SPS. Mais conserver le faisceau sur un cycle du SPS est déjà un résultat très encourageant ! »

Si les physiciens des accélérateurs jonglent avec les atomes, c’est pour tester une idée novatrice : une source de rayons gamma (photons d’énergie de l’ordre du MeV) avec des intensités très élevées. Cette « usine gamma » générerait des photons jusqu’à 400 MeV, avec des intensités semblables à celles des synchrotrons ou lasers à électrons libres à rayons X. Ces derniers produisent en effet des faisceaux très intenses, mais de rayons X, c’est à dire de photons avec des énergies inférieures à environ 100 kiloélectronvolts (keV).

« Une telle source ouvre des perspectives d’études inédites en physique fondamentale, dans le domaine de l’électrodynamique quantique, ou dans la recherche de la matière noire, explique Witold Krasny, physicien du CNRS associé au CERN, à l’origine du projet, et qui dirige le groupe de travail. Elle ouvre également la voie à des applications industrielles et médicales. » Elle pourrait même servir de banc d’essai pour une usine à neutrinos ou un collisionneur de muons du futur.

Le principe consiste à accélérer des atomes partiellement ionisés, puis à les exciter à l’aide d’un laser. En revenant à leur état stable, les atomes émettent des photons de haute énergie.

Profitant de la présence de xénon dans le complexe d’accélérateurs, l’équipe a pu réaliser ce premier test sans perturber les programmes en cours, comme celui du LHC. L’an prochain, pendant le programme d’ions lourds pour le LHC, elle retentera l’expérience avec des atomes de plomb ionisés, ne conservant qu’un ou deux électrons. De tels faisceaux seront bien plus stables. Ces atomes comportent en effet moins d’électrons, il y a donc moins de risque de les perdre. De surcroît, ces électrons occupent seulement la couche « K », plus proche du noyau, avec lequel ils ont une liaison plus forte. De tels faisceaux pourraient être accélérés dans le SPS, puis dans le LHC.

Le projet d’usine gamma s’inscrit dans le cadre de l’étude « Physics beyond colliders » (Physique au-delà des collisionneurs). Lancée en 2016, l’initiative a pour objectif d’étudier toutes les possibilités d’expériences hors collisionneur, notamment avec le complexe d’accélérateurs du CERN. Plusieurs centaines de scientifiques sont attendus à la conférence annuelle « Physics beyond colliders », qui se tiendra fin novembre au CERN.