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Le microscope qui dissèque les matériaux

Au CERN, une plateforme d'imagerie 3D à l'échelle nanoscopique permet d'observer ce qui se cache sous la surface des matériaux

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The microscope that digs deep for answers

Le microscope se trouve dans une salle où la température et l'humidité sont constantes. Une cage de Faraday est utilisée pour atténuer l'influence des champs magnétiques environnants. (Image : CERN)

XB540  cela pourrait être le code d'un agent secret... mais non : il s'agit d'un outil scientifique du CERN servant à observer la matière à l'échelle du nanomètre. Depuis l'an dernier, cette machine extraordinaire, un microscope électronique à balayage à faisceau d'ions focalisé (FIB-SEM), dissèque les matériaux pour répondre à des questions qui occupent depuis longtemps les scientifiques de ce domaine.

Le FIB-SEM XB540 est à la fois un microscope électronique et une plateforme de nano-usinage 3D. La colonne électronique est un système de balayage haute résolution capable de produire des images d'éléments mesurant un millionième de millimètre (10-9 mètre), soit environ la taille de 10 atomes ; cependant ce système ne permet d'étudier que la surface d'un échantillon. L'autre colonne, la colonne FIB, utilise un canon ionique pour découper la matière, permettant ainsi d'observer ce qui se cache à l'intérieur.

La machine reconstruit en trois dimensions les régions étudiées par une technique semblable à la tomographie traditionnelle. Le canon ionique retire des couches au matériau, les unes après les autres. Une image est faite de chaque couche, dont la taille est de l'ordre du nanomètre. L'association des milliers d'images obtenues permet la reconstruction tridimensionnelle de la structure interne de l'échantillon.

Le logo du CERN à l'échelle micrométrique, reproduit par fraisage sur une galette de silicium grâce au canon ionique du microscope, avec une profondeur de fraisage de 50 nanomètres. (Image : Alexander Lunt/CERN)

« Il était nécessaire de disposer d'un tel microscope. Il nous aide à appréhender des phénomènes que l'on ne pourrait pas comprendre autrement, soit en raison de la difficulté à préparer des échantillons, soit parce que la résolution aurait été trop faible », fait valoir Stefano Sgobba, chef de la section Matériaux, métrologie et NDT du département Ingénierie, en charge du laboratoire de microscopie électronique à balayage.

De nombreux types d'échantillons ont déjà été étudiés, entre autres des échantillons de couches minces, de récipients sous pressions, de matériaux de structure, d'assemblages d'éléments volumineux, de composants électriques, de matériaux isolants et de produits d'interactions entre faisceaux.

Les experts des couches minces du groupe Vide, surfaces et revêtements ont fait partie des premiers à mettre en pratique leurs résultats. « Cela faisait longtemps qu'ils voulaient déterminer les effets de différents paramètres de production sur une couche. Mais jusqu'à présent, il était très difficile de les quantifier. Ils ont préparé plusieurs échantillons avec différents paramètres, et nous leur avons donné un aperçu de la microstructure, de l'épaisseur et de la porosité de chacun de ces échantillons. Avec ces informations, ils peuvent désormais mieux déterminer les paramètres de production », explique Alexandre Lunt, responsable de la gestion et de l'exploitation du laboratoire du FIB-SEM.

Outre le fraisage et l'imagerie, le microscope a été conçu pour l'exécution de différentes techniques d'analyse, telles que la caractérisation chimique, grâce à des détecteurs prévus à cet effet.  « Nous pouvons savoir précisément la composition du matériau, avec une grande résolution », déclare Floriane Léaux, responsable de l'activité de microscopie électronique au CERN.

Une autre technique d'analyse est la production de lames minces, qui sont de fines couches du matériau étudié dont l'épaisseur est inférieure à 200 nanomètres. Celles-ci permettent au scientifiques d'observer au travers de l'échantillon, avec une résolution de 0,9 nanomètre. « Dans une lame mince, on peut observer un plan d'atomes mal aligné dans le cristal, qui a provoqué une dislocation. Ce constat nous indique ce qui doit être amélioré au niveau des techniques de production pour obtenir un meilleur produit fini », explique Alexander Lunt.

Cartographie des éléments à l'échelle nanoscopique dans un plan de coupe d'une couche mince supraconductrice de V3Si. Le fraisage ionique peut être utilisé pour réaliser de minces plans de coupe (moins de 200 nanomètres) des régions étudiées, afin d'établir une cartographie à haute résolution des éléments. Ici, l'étude a permis de déterminer qu'un revêtement barrière en tantale entre un substrat de cuivre et une couche supraconductrice ne convenait pas en raison de la diffusion observée. (Image : Alexander Lunt/CERN)

C'est le groupe Ingénierie mécanique et des matériaux qui a établi le cahier des charges puis procédé à l'achat du FIB-SEM, avec l'aide du programme de consolidation des accélérateurs et d'autres départements du CERN.  « Nous voudrions remercier tous ceux qui nous ont aidés, ajoute Stefano Sgobba. Cette situation montre bien l'unité de la communauté du CERN, qui travaille main dans la main pour atteindre des objectifs scientifiques particuliers. »

Répartition des éléments chimiques à l'intérieur d'une soudure en acier inoxydable traité thermiquement. La vidéo met en évidence la répartition de trois éléments, le molybdène (en rouge), le manganèse (en vert) et le chrome (en bleu), dans une soudure en acier inoxydable traité thermiquement, dans une zone mesurant 20 μm × 20 μm × 20 μm. Ces données ont été recueillies avec le FIB-SEM et grâce à une technique de caractérisation des éléments appelée spectroscopie à rayons X à dispersion d'énergie. La cartographie haute résolution (75 nanomètres) est nécessaire pour observer la répartition d'éléments dont la composition ou la phase est différente. Ces caractéristiques ont des conséquences importantes sur la ténacité et sur les propriétés magnétiques de la soudure, en particulier à des températures cryogéniques. La vidéo montre les plans de coupe de la soudure, recueillis suivant un axe perpendiculaire à la direction de la soudure, puis une représentation tridimensionnelle. (Video : Alexander Lunt/CERN)