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ALICE progresse encore dans la compréhension de l'interaction entre les hadrons

La collaboration ALICE a observé pour la première fois l'interaction forte résiduelle entre des protons et des mésons ɸ

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Proton-phi interaction
Représentation de l'interaction entre un proton (constitué de deux quarks u et d'un quark d) et d'un méson ɸ (constitué d'un quark s et d'un antiquark s) issus d'une collision proton-proton au LHC. La distance entre les deux est de l'ordre du femtomètre. (Image: ALICE collaboration)

Dans un article publié récemment dans la revue Physical Review Letters, la collaboration ALICE rapporte avoir utilisé une méthode connue sous le nom de « femtoscopie » pour étudier l'interaction résiduelle entre des particules à deux quarks et des particules à trois quarks. Avec cette technique, elle a pu observer pour la première fois une interaction entre le méson ɸ (constitué d'un quark s et d'un antiquark s) et un proton (constitué de deux quarks u et d'un quark d).

Le méson ɸ ayant une charge électrique nulle, une interaction entre cette particule et un proton ne peut avoir une origine électromagnétique et ne peut dont être attribuée qu'à l'interaction forte résiduelle. L'interaction forte est ce qui lie les quarks à l'intérieur des hadrons (tels que le proton et le méson ɸ), alors que l'interaction forte résiduelle est la force qui agit entre les hadrons. C'est l'interaction qui lie les protons et les neutrons à l’intérieur du noyau.

Il est possible d'étudier l'interaction forte résiduelle entre les protons et les neutrons dans un état lié stable comme le noyau atomique ; les hadrons produits lors des collisions de particules sont eux instables, et il est donc très difficile d'observer leur interaction. Il a été démontré au LHC que c'était possible à l'aide d'une technique dénommée « femtoscopie ». Les hadrons issus des collisions au LHC sont produits très près les uns des autres, à des distances d'environ 10-15 m (unité connue sous le nom de femtomètre, d'où l'appellation femtoscopie). Cette échelle correspond à la portée de la force forte résiduelle, ce qui laisse aux hadrons une petite chance d'interagir avant de poursuivre leur route. Dès lors, deux hadrons subissant l’effet d’une interaction attractive se rapprocheront d’un peu plus près ; inversement, deux hadrons subissant l’effet d’une force répulsive s’éloigneront légèrement. Les deux effets peuvent être clairement observés par l’analyse fine des vitesses relatives mesurées des particules.

La connaissance de l'interaction p-ɸ (proton-méson ɸ) présente un double intérêt en physique nucléaire. Premièrement, cette interaction est cruciale pour la recherche du rétablissement partiel de la symétrie chirale. En effet, on observe dans la nature une brisure de la symétrie chirale qui caractérise l'interaction forte, qui explique le fait que les hadrons (tels que le proton et le neutron) ont une masse bien plus importante que l’ensemble des quarks qui les constituent. La symétrie chirale est donc liée à l'origine de la masse. L'une des manières possibles de chercher des manifestations du rétablissement de la symétrie chirale et de lever le voile sur le mécanisme à l'origine de la masse est d'étudier les modifications des propriétés des mésons ɸ dans la matière nucléaire dense qui se forme dans les collisions au LHC. Toutefois, pour y parvenir, il faut impérativement comprendre d'abord l'interaction simple entre deux corps (p-ɸ).

Deuxièmement, le méson ɸ, parce qu'il contient un quark s et un antiquark s, est considéré comme un vecteur possible de l'interaction entre les baryons (hadrons constitués de trois quarks) contenant un ou plusieurs quarks s, appelés hypérons (Y). Selon la force de cette interaction, les hypérons pourraient former le cœur des étoiles à neutrons, objets les plus denses et les moins bien connus de l'astrophysique. Il n’y a pas encore eu de mesure directe de la force de l'interaction Y-ɸ, même si une telle mesure est réalisable. Toutefois, cette valeur peut d'ores et déjà être estimée d’après les résultats concernant l'interaction p-ɸ par l'intermédiaire des symétries fondamentales. Mesurer l'interaction p-ɸ donne donc indirectement accès à l'interaction Y-Y dans les étoiles à neutrons.

La valeur modérée de la force de l'interaction mesurée par ALICE donne une référence quantitative pour de futures études des propriétés du ɸ dans le milieu nucléaire et se traduit également par une interaction négligeable entre les hypérons dans les étoiles à neutrons. Les troisième et quatrième périodes d'exploitation du LHC permettront d'obtenir des mesures plus précises, ce qui devrait améliorer notablement la précision des paramètres extraits et également rendre possible l’observation directe de l'interaction Y-ɸ.