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Paul Baillon (1938 - 2018)

C’est avec une profonde tristesse que nous faisons part du décès de notre collègue Paul Baillon, le 2 octobre 2018

Paul Baillon (1938 - 2018)

 

Élève de l'École normale supérieure, Paul Baillon rejoint rapidement le laboratoire de l'École polytechnique, puis le CERN, dont il devient membre du personnel en 1966.

La carrière de Paul est frappante par la grande variété de sa production scientifique.

Il est d’abord un pionnier de la physique des chambres à bulles. Au sein de la collaboration CERN-Collège de France, en 1961 et 1962, il participe à une expérience qui enregistre 75 0000 annihilations d’antiprotons à l’arrêt dans l’hydrogène liquide de la chambre de 81 cm de Saclay. Sa thèse sur l'étude de ces annihilations « avec production d'au moins un K neutre visible » est soutenue en 1965, devant un jury prestigieux composé de Francis Perrin, Jean Meyer et Louis Leprince-Ringuet. Elle présente une nouvelle détermination de la masse et de la largeur du K et annonce des résonances nouvelles, en particulier le premier méson pseudoscalaire dans la région de masse 1 400-1 500 MeV. Paul a continué à s’intéresser à ce sujet, parce que ce méson pourrait être interprété comme un état constitué de gluons (« glueball »).

Vingt ans après leur enregistrement, il a même effectué une nouvelle analyse de ces données, à la recherche de baryonium, un exercice précurseur de préservation des données !

De 1974 à 1982, Paul prend part à des expériences électroniques au PS, portant sur l’étude de réactions hadroniques à deux corps, puis il fait un séjour au SLAC et participe à l'expérience DELCO auprès de l'anneau e+e− PEP, étudiant en particulier le charme et le lepton tau.

Parallèlement à son travail au CERN, Paul a su entretenir tout au long de sa carrière, souvent à titre personnel, des collaborations avec ses collègues français. Passionné d’astrophysique, il devient l’un des initiateurs de l’astronomie gamma en France, avec l’expérience Thémistocle, menée de 1988 à 1994. C’est une réutilisation astucieuse de l’infrastructure de la centrale solaire Thémis, arrêtée en 1986, pour détecter les gerbes de gamma cosmiques en utilisant la lumière Tchérenkov de la gerbe concentrée sur des photomultiplicateurs. Les études portent en particulier sur la nébuleuse et le pulsar du CRABE. Puis Paul participe à la conception de l’expérience CAT.

Il s’implique également dans une recherche de la matière noire dans le cosmos, visant à détecter d’éventuels objets sombres par effet de microlentille gravitationnelle, une amplification de la luminosité d’une étoile quand un tel objet passe entre elle et l’observateur. Il contribue à deux expériences réalisées avec des télescopes de l’Observatoire du Pic du Midi, AGAPE, puis PointAGAPE pixel-lensing survey de la galaxie Andromède.

À son retour des États-Unis, Paul rejoint les grands programmes du CERN. D’abord le LEP et l’expérience DELPHI, où il consacre son activité au détecteur Tchérenkov RICH et devient un membre-clé de l’équipe qui conçoit et construit ce détecteur complexe et innovant. Paul travaille sur tous les aspects de la partie tonneau du RICH. Il en assure la simulation complète et le code d’analyse et d’identification des particules. Il est un acteur majeur de la production de ses 300 miroirs de haute réflectivité.

Ayant rejoint le LHC et CMS, Paul contribue de façon essentielle à la conception du calorimètre électromagnétique à cristaux scintillants, qui a joué un rôle clé dans la découverte du boson de Higgs en 2012. Utilisant ses compétences développées pour DELPHI, Paul met au point avec André Braem un film protecteur du revêtement intérieur réfléchissant des alvéoles contenant les cristaux. Paul est surtout l’un des concepteurs du système de stabilisation en température à quelques centièmes de degré des cristaux positionnés à quelques centimètres d’une électronique qui dégage beaucoup de chaleur. Grâce à cette conception, la température des cristaux est exactement de 18 degrés depuis 2007.

Fort d’une très solide connaissance de la physique classique et instrumentale, ainsi que des mathématiques, Paul pouvait se passionner autant pour la réalisation d’un détecteur que pour les notions les plus abstraites de la physique mathématique. On se souvient, par exemple, de son cours très didactique sur l'utilisation du calcul tensoriel donné en 1968 à l'École d'Herceg Novi. À sa retraite, il écrit et publie un livre sur les variétés différentielles : « Differential Manifolds, A Basic Approach for Experimental Physicists ». Il en préparait un second sur les fondements de la théorie quantique des champs.

Face à un problème, Paul avait l’art de le faire pivoter pour le montrer sous un angle de vue imprévu. C’était la marque d’un esprit brillant, d’une originalité authentique et forte, et aussi d’un goût certain pour le paradoxe, mais toujours très enrichissant.

Doué et audacieux intellectuellement, il l’était également sportivement, skieur et alpiniste accompli. Au-delà de la science, Paul s’intéressait à l’histoire, à la religion, et savait s’engager politiquement et dans la vie locale.

Les discussions avec Paul nous restent comme d’excellents souvenirs, qui entretiendront notre profonde admiration pour l’homme et le scientifique exceptionnel qu’il fut.

Ses collègues et amis