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Oui, je suis une scientifique

À l’occasion de la Journée internationale des femmes et filles en sciences, des femmes scientifiques au CERN font entendre leur voix.

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Naturally I'm a scientist

Manuela Cirilli, physicienne italienne, est responsable des applications médicales pour le groupe de Transfert de connaissances du CERN. (Image : Sophia Bennett/CERN)

Quelle place la science réserve-t-elle aux femmes ? Leur participation a-t-elle évolué ? À l’occasion de la Journée internationale des femmes et filles en sciences, des physiciennes, ingénieures et informaticiennes au CERN livrent leur opinion sur leur expérience et la place des femmes dans leur discipline.

Manuela Cirilli : « Suivez vos rêves, vous ne le regretterez pas »

« À 16 ans, je voulais être journaliste, à 17 ans, architecte, et à 18 ans, j’ai visité le CERN, et j’ai su que je voulais travailler là, raconte Manuela Cirilli. J’ai eu le sentiment qu’ici, les scientifiques laissaient une empreinte dans l’histoire de l’humanité, en transformant la perception de l’Univers. »

Manuela est responsable des applications médicales pour le groupe de Transfert de connaissances du CERN, l’équipe chargée de promouvoir les applications des technologies du CERN au bénéfice de la société.

Manuela est un peu le couteau suisse de la physique : elle est multi-compétente et multi-carrières. Titulaire d’un doctorat de physique sur l’expérience NA48 du CERN, elle a participé au développement du détecteur ATLAS, travaillé dans le management de ladite expérience, tout en se découvrant une passion pour la vulgarisation scientifique. Elle a décroché un master de communication, publié des articles, participé à la réalisation de vidéos, travaillé pour un projet européen sur la thérapie des cancers avec des faisceaux de hadrons, avant finalement de s’orienter vers le transfert de connaissances. « Ce métier me permet d’utiliser mes compétences en sciences et en communication », souligne-t-elle.

Manuela a étudié en Italie ou, somme toute, les femmes étaient assez nombreuses sur les bancs de la faculté. « Mais on observait un écrémage, moins de filles atteignaient le doctorat », remarque-t-elle.

« Le plus joli compliment que j’ai reçu, c’est un enfant qui m’a dit : “Vous êtes une fille normale !”»

Elle regrette que les femmes soient encore en minorité dans les laboratoires, surtout aux postes de responsabilité. « Il n’y a pas de recette magique. Il faut encourager les femmes et, surtout, montrer que, quand on les sélectionne, c’est qu’elles l’ont mérité. »

Manuela intervient souvent dans les écoles pour promouvoir les sciences auprès des jeunes. « Le plus joli compliment que j’ai reçu, c’est un enfant qui m’a dit : “Vous êtes une fille normale !”, se souvient-elle. Laisser le souvenir d’une personne abordable, à qui l’on peut s’identifier est la meilleure manière d'encourager les jeunes, et les filles en particulier. Il faut faire passer le message que ce métier n’est pas réservé à une élite masculine. »

Manuela entend de plus en plus de jeunes qui s’inquiètent des débouchés ou de la feuille de paie. « Je leur dis toujours : “Faites ce qui vous intéresse, suivez vos rêves, vous n’aurez pas de regret.” Personne ne peut garantir que vous trouverez un travail qui correspond à vos études. Par conséquent, il vaut mieux viser l’intérêt qu’une rentabilité forcément aléatoire. »

 

Aniko Rakai : « Ce sont les compétences qui comptent, pas le genre »

Aniko Rakai, ingénieure hongroise au CERN, simule les mouvements de l’air pour optimiser la ventilation.(Image : Sophia Bennett/CERN)

Aniko Rakai nous accueille dans un grand bureau ouvert, avec une dizaine de postes de travail occupés par des hommes, sauf le sien et celui d’une étudiante. Aniko travaille majoritairement avec des hommes. « Ça ne me pose aucun problème, remarque-t-elle. Durant mon doctorat, nous étions également très peu de filles. Pour moi, ce sont les compétences qui comptent, pas le genre. »

Aniko est ingénieure spécialiste en mécanique des fluides, une discipline qui mêle mathématiques, physique et informatique pour simuler les mouvements de fluides ou de gaz. « Je travaille sur deux projets pour simuler les mouvements d’air dans la caverne de l’expérience ATLAS et sur l’ensemble du site du CERN. »

Le seul moyen de parvenir à un équilibre hommes/femmes en sciences, c’est de montrer toute l’étendue des métiers scientifiques dès l’école. 

Lorsqu’elle était étudiante, Aniko a rencontré un professeur de mécanique des fluides qui l’a passionnée, et c’est ainsi qu’elle a trouvé sa voie. Aniko aimerait à son tour transmettre sa passion pour sa discipline. C’est pourquoi elle présente son métier dans les écoles à l’occasion de la Journée internationale des femmes et des filles en science. « Le seul moyen de parvenir à un équilibre hommes/femmes en sciences, c’est de montrer toute l’étendue des métiers scientifiques dès l’école. On ne peut pas forcer les filles à exercer des métiers scientifiques, mais si elles sont intéressées, elles choisiront peut être des études scientifiques », conclut Aniko.

 

Magdalena Kowalska : « La physique est un métier de passion »

Magdalena Kowalska, physicienne polonaise sur l’installation de physique nucléaire ISOLDE, montre la nouvelle expérience de physique nucléaire et de biologie qu’elle développe avec son équipe (Image : Sophia Bennett/CERN)

Magdalena Kowalska a de l’énergie et de l’audace à revendre. La physicienne polonaise a décroché une bourse du Conseil européen de la recherche (ERC) pour mener un projet aux frontières de la biologie et de la physique nucléaire. L’expérience utilise l’installation de physique nucléaire ISOLDE du CERN pour étudier l’interaction des ions métalliques avec des molécules, telles que des protéines ou de l’ADN. Ces travaux pourront par exemple être utilisés en biologie médicale, notamment dans l’étude de certaines maladies.

Magda est fascinée depuis l’enfance par les mathématiques et la physique. Elle s’est orientée dans cette voix sans se soucier du fait que les femmes y étaient plutôt rares. « Le fait qu’il y ait peu de femmes m’a plutôt encouragée, car je souhaitais relever le défi », explique-t-elle. En 2001, elle fait partie des deux étudiants polonais à bénéficier du programme des étudiants d’été au CERN. Elle réalise ensuite un doctorat sur ISOLDE, puis obtient un post-doctorat, toujours à ISOLDE, avant d’être choisie comme coordinatrice de physique de l’installation.

« C’est un métier de passion et on a tellement envie que les projets réussissent, que l’on ne compte pas son temps. »

Magda a le talent pour saisir les opportunités et la détermination pour faire aboutir les projets. Heureusement, car la physique, c’est énergivore. « C’est un métier de passion et on a tellement envie que les projets réussissent, que l’on ne compte pas son temps, raconte-t-elle. Mais quand on a une famille, ça devient plus compliqué. On court beaucoup et on doit être beaucoup plus efficace pour partir à l’heure », explique la mère de deux jeunes enfants.

Magda estime que la parité progresse dans la physique des particules. « Les programmes européens favorisent l’équilibre hommes/femmes, ajoute-t-elle. On est incité à respecter l’équité, c’est même devenu un critère inscrit dans les textes. »

 

Denia Bouhired-Ferrag : « Cultiver l’indépendance d’esprit »

Denia Bouhired-Ferrag, ingénieure algérienne et britannique, développe des cartes électroniques pour le contrôle des accélérateurs. (Image : Sophia Bennett/CERN)

Denia Bouhired-Ferrag nous accueille dans son laboratoire rempli de circuits électroniques. Elle a le visage rayonnant de ceux qui ont su saisir leur chance. Cette ingénieure travaille depuis 16 mois dans l’équipe de contrôle des accélérateurs du CERN, où elle développe des cartes électroniques.

Denia a été sélectionnée dans le cadre d’un programme de bourses spécifique du CERN. Mis en place en 2014, ce programme est destiné aux personnes qui ont un « trou » dans leur curriculum vitae car elles ont dû interrompre leur carrière. « Je me suis arrêtée de travailler pour mes deux maternités, explique-t-elle. Ensuite, lorsque je passais des entretiens, je devais justifier mes deux ans et demi sans emploi. » 

Denia a grandi en Algérie. À 17 ans, elle était l’une des quarante meilleures élèves du pays auxquels le gouvernement algérien a octroyé une bourse pour poursuivre ses études au Royaume-Uni. Elle obtient un doctorat de télécommunications sans fil. « Je m’intéressais depuis toujours aux sujets scientifiques et je voulais être ingénieure », raconte-t-elle.

« Le monde du travail est souvent injuste envers les femmes qui fondent une famille. »

Construire à la fois une famille et une carrière n’est pas toujours facile. « Le monde du travail est souvent injuste envers les femmes qui fondent une famille. Lorsque j’ai commencé à travailler, l’entreprise qui m’employait n’a pas reconduit mon contrat parce que je suis tombée enceinte, raconte-t-elle. À ce titre, le CERN se démarque par son ouverture vis-à-vis des parcours non linéaires. »

Denia participe cette semaine à une série de conférences données par des femmes scientifiques dans les écoles. « C’est très important de parler aux filles pour leur montrer qu’elles peuvent choisir des sujets à contre-courant des stéréotypes véhiculés dans la société, souligne Denia. Pour la Fête de l’escalade*, ma fille de trois ans et demi s’est déguisée en dinosaure, et pas en princesse. J’étais fière de son indépendance d’esprit que j’aimerais cultiver. »

*Fête genevoise au cours de laquelle les enfants défilent déguisés. 

Stéphanie Beauceron :

Stéphanie Beauceron, physicienne française au Centre national de la recherche scientifique, travaille pour l'expérience CMS sur le LHC. (Image: Sophia Bennett/CERN)

Depuis son bureau du bâtiment 40 du CERN, où les chercheurs des expériences du LHC explorent les confins de la physique, Stéphanie Beauceron a assisté à l’essor de la présence féminine. « Il y a de plus en plus d’étudiantes, et c’est une bonne chose, observe la physicienne de CMS, mais il y a toujours un problème d’écrémage. Quand on monte en âge et en responsabilité, il y a moins de femmes. L’une des raisons est qu’il est difficile de bâtir une carrière dans la recherche tout en fondant une famille. »

Embrasser la profession de chercheur demande une bonne dose de détermination. Stéphanie, comme ses collègues, a enchaîné plusieurs contrats temporaires après sa thèse avant de décrocher un poste fixe. Elle a tenu bon car chercheur en physique des particules n’est pas un métier que l’on choisi par hasard. « Lorsque j’avais 17 ans, j’ai visité une exposition sur la fusion des atomes. J’ai un peu creusé, j’ai découvert la physique des particules, et j’ai su que c’est ça que je voulais faire. »

Stéphanie a observé que les préjugés de la société sont autant d’obstacles à la parité. « Je me souviens avoir guidé une journaliste dans la caverne expérimentale de CMS. À la fin de la visite, elle a demandé : “Quand vais-je rencontrer le physicien ?” » Ce genre de réaction ne fait pas partie de son quotidien au travail. « Je n’ai jamais ressenti aucune réticence de la part de mes collègues. »

« Encourageons les filles à se projeter dans les carrières scientifiques »

En revanche, les femmes ont des efforts à réaliser pour gagner en confiance. « Les physiciennes s’interrogent souvent sur leurs compétences et leurs capacités, ont tendance à tout peser avant d’accepter une mission, quand un homme se lancera sans complexe. Il y a un grand travail à effectuer sur l’estime de soi. » C’est aussi pour cette raison que Stéphanie se rend souvent dans les écoles pour expliquer son métier. « En rencontrant une chercheuse, les filles peuvent se projeter dans les carrières scientifiques. Elles réalisent que, pour elles aussi, c’est possible. » 

 

Hannah Short:

Hannah Short, ingénieure informatique britannique, travaille dans l’équipe de sécurité informatique du CERN. (Image : Sophia Bennett/CERN)

Hannah Short, qui travaille dans l’équipe de sécurité informatique du CERN, est loin du stéréotype de la « geek » rivée à son écran jour et nuit. « Contrairement à beaucoup d’hommes informaticiens, programmer n’était pas mon passe-temps à l’adolescence, et je ne passe pas mes heures perdues à lire des magazines informatiques », sourit-elle.

Hannah s’est d’abord orientée vers la physique. « Plusieurs personnes s’étaient alors étonnées de mon choix, en partie parce que j’étais une fille, en partie parce que je n’avais pas le profil supposé pour les mathématiques et la physique », raconte-t-elle. Les stéréotypes ont la vie dure...

Hannah a découvert la programmation informatique lors de son master d’astrophysique informatique. Elle a travaillé quelques années comme programmatrice dans une compagnie de la City à Londres, avant de rejoindre le CERN.

« L’informatique reste une discipline majoritairement masculine, reconnaît-elle. Qui plus est, « les femmes sont parfois considérées comme plus efficaces pour les tâches administratives ou l’organisation.»

« Les femmes doivent croire en leur génie »

Redorer l’image des informaticiennes, les promouvoir dans les rôles d’experte technique permettrait d’attirer plus de femmes dans le métier. « Beaucoup de femmes manquent de confiance en elles. Les femmes doivent croire en leur génie, au même titre que les hommes. »

Hannah a cofondé le réseau « Women in Technology » au CERN, pour que ses collègues puissent rencontrer d’autres femmes, manager par exemple, ou poser des questions qu’elles n’oseraient pas poser dans un environnement à dominante masculine.

Cette semaine, Hannah ira parler dans les écoles pour montrer l’exemple. « Rencontrer des femmes en chair et en os qui travaillent dans un domaine rend tout à coup ce domaine accessible », explique-t-elle. 

Jennifer Mertens:

Jennifer Mertens, physicienne des accélérateurs allemande, travaille pour le département Technologie du CERN. (Photo: Sophia Bennett/CERN)

Jennifer Mertens a vu le jour dans l’ex-Allemagne de l’Est, juste avant la chute du mur. « En Allemagne de l’Est, les femmes étaient indépendantes depuis plusieurs générations et travaillaient au même titre que les hommes. C’est à l’Ouest que j’ai découvert ce problème de parité dans le monde du travail », raconte-t-elle.

Jennifer a d’abord effectué un doctorat sur l’expérience ATLAS sur le Grand collisionneur de hadrons, avant de travailler sur la physique des accélérateurs. « Je suis dans une équipe où la parité est parfaitement respectée ; il y a autant de femmes que d’hommes. Mais c’est un peu exceptionnel. Dans l’ingénierie, les hommes sont majoritaires », reconnaît-elle.

Jennifer n’a pas souffert de discrimination ou de préjugés. « Ce sont rarement tes collègues qui vous déconsidèrent, car ils connaissent ta valeur. En revanche, les femmes peuvent souffrir de discrimination à l’embauche, parce que les employeurs pensent que les jeunes femmes sont susceptibles d’arrêter de travailler du fait de leur maternité. »

« On peut parvenir à la parité en donnant les mêmes chances à tous »

Jennifer pense qu’il est important d’encourager les jeunes, filles ou garçons. « Je viens d’une famille modeste dans un tout petit village, et je travaille maintenant dans ce grand laboratoire, souligne-t-elle. Je veux faire passer ce message : “quelle que soit votre envie, vous pouvez y arriver, si vous vous focalisez sur votre objectif. On peut parvenir à la parité homme-femme en donnant les mêmes chances à tous”. »

Chiara Mariotti :

Chiara Mariotti, physicienne italienne de l’Institut national italien de physique nucléaire de Turin, travaille pour l’expérience CMS au LHC. (Image: Sophia Bennett/CERN)

« Lorsque j’étudiais à l'université, l’une de nos professeurs nous disait que les femmes n’avaient pas le niveau pour devenir physiciennes. Alors qu’elle était elle-même une femme ! Récemment, elle m’a avoué que, grâce à nous, les femmes physiciennes qui avons réussi, elle a changé d’opinion. » Chiara Mariotti, physicienne de l’expérience CMS auprès du Grand collisionneur de hadrons, travaille depuis 25 ans dans la physique expérimentale des particules. Elle a dirigé de nombreux groupes d’analyse, notamment le prestigieux groupe sur la recherche du boson de Higgs. Elle a défendu sa thèse au début des années 1990 en Italie, lorsque la physique des particules était un domaine presqu’exclusivement masculin.

« J’avais le sentiment que je devais travailler plus dur, faire plus d’efforts pour obtenir la même reconnaissance que les hommes, se souvient-elle. J’ai essuyé des remarques, souffert de préjugés. Mais, en général, ce comportement s’estompait dès que je travaillais directement avec les gens. » 

« Nous devons expliquer aux jeunes que la science change leur vie quotidienne »

Chiara pense que le domaine a évolué de manière positive. « Il y a beaucoup plus d’étudiantes en physique et de physiciennes aujourd’hui. Il y a aussi moins de remarques désobligeantes entre les jeunes », souligne-t-elle. 

Néanmoins, le déséquilibre hommes/femmes reste patent. Chiara participe souvent à des actions de sensibilisation car il est important, selon elle, d’expliquer aux filles et aux jeunes en général l’intérêt des carrières scientifiques.

« Nous devons leur montrer que la science c’est fascinant, qu’elle donne accès à des métiers très intéressants. Nous devons aussi leur expliquer que la science est primordiale pour l’humanité, qu’elle change leur vie quotidienne. »