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Opinion : L'effet CERN

L’avis de Sijbrand de Jong, président du Conseil du CERN, sur les retombées positives de la recherche de pointe sur la société

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L'intérêt pour le CERN a évolué au fil des ans. Au moment de la création de l’Organisation, les États membres fondateurs étaient conscients du potentiel de la nouvelle institution, destinée à devenir un centre d'excellence pour la recherche fondamentale, un moteur en matière d'innovation, un lieu de formation de premier ordre et un catalyseur pour la paix. Après plusieurs décennies sans événement marquant, les gouvernements des États membres s'intéressent à nouveau de près au CERN. Cela est dû en partie à l'intérêt que porte le public au Laboratoire, dont le nom est maintenant connu du plus grand nombre. Qu'il soit sous le feu des projecteurs ou non, le CERN doit faire apparaître à toutes les parties prenantes l’intérêt qu’il y a à investir dans l’Organisation, aujourd’hui comme il y a 60 ans. Car si les raisons qui justifient cet investissement sont sans doute claires pour les personnes travaillant au CERN, elles le sont peut-être moins pour les administrateurs et les responsables politiques, et elles méritent d’être rappelées.

La première chose, c’est que  le CERN a énormément contribué à la compréhension du monde dans lequel nous vivons. La découverte, puis l’étude détaillée, des bosons vecteurs faibles dans les années 1980, et celle plus récente du boson de Higgs, qui a confirmé le mécanisme de Brout–Englert–Higgs, ont permis une meilleure compréhension de la nature au niveau des particules fondamentales et de leur interaction. C'est ainsi qu’a été établi ce que l'on nomme aujourd'hui le Modèle standard de la physique des particules. C’est là un apport culturel majeur, et ces études nous ont beaucoup appris sur le chemin parcouru depuis cet instant où tout a commencé, il y a 13,6 milliards d'années. Jamais cet apport n'a été autant apprécié qu'aujourd'hui. Plus de 100,000 personnes visitent le CERN chaque année, parmi lesquelles des centaines de journalistes, dont la voix est entendu de millions d'individus. Voir le CERN est une expérience impressionnante, mais aussi, sans aucun doute, très enrichissante culturellement.

Formation et innovation

En deuxième lieu, le CERN joue un rôle important en matière d'éducation ; il a  formé plusieurs générations de physiciens, d'ingénieurs et de techniciens de haut niveau. Certains sont restés au Laboratoire, d'autres ont poursuivi leur carrière en physique fondamentale auprès de divers instituts et universités, contribuant ainsi à leur tour à la formation de haut niveau et faisant fructifier leurs connaissances acquises au CERN. D'autres encore, et ils sont nombreux, ont rejoint le secteur industriel, permettant ainsi à l’Organisation de s'acquitter d'une mission importante : former des professionnels qualifiés qui contribueront au progrès de l'économie des États membres et des pays avec lesquels le Laboratoire collabore. Chaque année sont décernés plus de 500 doctorats reposant sur des travaux menés auprès des expériences et des accélérateurs du CERN. En 2015, le Laboratoire a accueilli plus de 400 étudiants techniques, administratifs et en doctorat, pour une durée habituellement comprise entre quelques mois et une année. Les programmes d'été destinés aux étudiants ou aux enseignants, qui proposent des cours intensifs sur de courtes périodes, accueillent également tous les ans des centaines d'étudiants et de professeurs du secondaire.

La troisième contribution importante du CERN concerne l'innovation. La recherche exige en effet des innovations technologiques à des niveaux inédits et dans des domaines inexplorés. Le World Wide Web est l'exemple le plus connu d’une technologie née au CERN qui a bouleversé notre société. Mais le web n'est que la partie émergée de l'iceberg. Des avancées dans des domaines tels que la technologie des aimants, la cryogénie, l'électronique, la technologie des détecteurs et les méthodes statistiques ont également laissé leur marque, bien que plus discrètement, sur le monde. Ainsi, certaines techniques de pointe utilisées pour les détecteurs de photons ou de leptons pourraient sembler n’avoir que peu d‘impact en dehors du domaine de la recherche fondamentale : elles ont pourtant révolutionné l'imagerie médicale, par exemple.

Ces innovations, souvent peu visibles, contribuent néanmoins efficacement à notre prospérité et à notre bien-être, et constituent un élément vital du processus de recherche. Le CERN adopte de plus en plus une approche proactive en ce qui concerne le transfert de l'innovation, des connaissances et des compétences à ceux qui peuvent en faire profiter la société toute entière, et cette attitude est généralement très appréciée. Les initiatives les plus récentes comprennent des partenariats publics-privés comme CERN openlab, Medipix et IdeaSquare, qui sont des structures intégrant des mécanismes faciles d'accès par lesquels des entreprises peuvent exploiter des technologies nées au CERN. En contrepartie, le CERN bénéficie d’une innovation industrielle plus dynamique, utile pour les futures générations d'accélérateurs et de détecteurs.

La tribune publiée récemment par Fabiola Gianotti, directrice générale du CERN décrit très bien les perspectives et les défis de la physique des particules dans les années à venir. Il faudra faire preuve d’un grand savoir-faire pour gérer à la fois le programme de recherche de pointe auprès du LHC et les différentes autres installations, et aussi participer à des activités hors du CERN, comme le programme neutrino aux États-Unis, tout en se préparant pour les futurs accélérateurs et détecteurs. Les capacités du CERN seront mises à rude épreuve. Mais c'est précisément ce genre de défi qui pousse l'Organisation à se surpasser et à innover dans tous les domaines, et les retombées profiteront à la société. La recherche de pointe fait avancer de concert la connaissance scientifique et les avancées technologiques. Voilà qui justifie amplement l’appui que reçoit le CERN des États du monde entier.

*Sijbrand de Jong est président du Conseil du CERN depuis le 1er janvier 2016.

Cet article a été publié à l'origine dans le numéro du mois de mars de CERN Courier. Voir ici.