Le projet LHC à haute luminosité (HL-LHC) a pour objectif d'augmenter le nombre de collisions dans le LHC et, par conséquent, la précision des analyses. Depuis plusieurs années, ingénieurs, techniciens et opérateurs imaginent, conçoivent et construisent ses composants, dont certains sont totalement novateurs. C’est le cas de ce que l'on appelle les « cavités-crabe », qui font pivoter les paquets de particules des faisceaux pour accroître la superposition entre eux et ainsi la probabilité de collision au cœur des expériences. J’ai coordonné la récente installation du cryomodule contenant les deux premières cavités prototypes dans le supersynchrotron à protons (SPS), où elles seront testées cette année. Récit en images. (Photos de Julien Ordan et Maximilien Brice/CERN).
Depuis 6 heures un matin de janvier, sous une pluie battante, nous suivons avec émotion le transport délicat du cryomodule contenant les deux premiers prototypes de cavités-crabe depuis le hall SM18 jusque dans le tunnel du SPS. Nous devons les tester avec un faisceau de protons pour en valider la conception et le fonctionnement.
Après une descente de 40 mètres, nous voici dans le tunnel du SPS. Nous n’avons plus qu’une quarantaine de mètres à parcourir jusqu’à la station de test. Le transport est contrôlé en continu par des capteurs : l’inclinaison ne doit pas dépasser 10 degrés, et l’accélération doit rester en dessous de 0,3 g. À l’emplacement final, nous entamons la délicate opération de levage et de mise en place à l'aide de vérins de positionnement de haute précision.
Le cryomodule doit être testé avec un faisceau de protons en conditions réelles, mais sans perturber l’exploitation du SPS. Il est donc installé sur une table de transfert mobile, conçue et fabriquée par AVS Spain, permettant d’insérer les cavités-crabe dans l’axe du faisceau ou de les retirer, avec une précision proche du micron.
L’équipe chargée de la cryogénie au CERN a dû développer un réfrigérateur mobile, une première. Contrairement au LHC, le SPS n’a pas d’infrastructure cryogénique. Or les cavités sont supraconductrices et doivent par conséquent être refroidies à 2 kelvins (-271°C).
Dernière phase de l’installation : la mise en place du cryomodule qui a été testé avec succès en surface. Pour accompagner les mouvements de la table de transfert, tous les services connectés au cryomodule doivent être articulés ou flexibles. C’est le cas des lignes qui transfèrent la puissance radiofréquence, ou encore des chambres à vide, qui connectent le cryomodule à la ligne faisceau du SPS. Ces dernières sont articulées par des soufflets qui permettent de positionner le cryomodule dans l’axe du faisceau ou en dehors, sans modifier la qualité du vide. Une véritable prouesse d’ingénierie. Enfin, trois lignes cryogéniques flexibles transportent les fluides réfrigérants à l'état liquide et gazeux. Ce n’est qu’une fois tous ces éléments flexibles connectés que nous pouvons tester le mouvement de la table.
Les ingénieurs responsables de la table de transfert pilotent le mouvement depuis la surface : la table se met en mouvement, les deux pièces rotatives qui connectent les lignes de puissance radiofréquence aux cavités se détendent lentement, les chambres à vide articulées glissent sur leurs supports. Mais quelque chose ne se passe pas comme prévu du côté des flexibles cryogéniques, qui ne suivent pas le mouvement comme ils le devraient. L’équipe se remet au travail pour modifier leur enveloppe à vide : couper, déplacer, souder à nouveau. Nous sommes en février et il ne reste plus que quelques jours avant la fermeture des portes du SPS…
Les équipes travaillent d’arrache-pied pour régler le problème. Et enfin… le cryomodule est prêt pour le faisceau. Le SPS a maintenant redémarré ; les tests auront lieu cette année.
Pour plus d'informations sur les cavités-crabe, lisez cet article paru dans le CERN Courier (en anglais).