Si le LHC approche de la fin de sa deuxième exploitation, étape majeure de son histoire, cela ne se voit pas beaucoup dans le Centre de contrôle du CERN, où il ne reste plus qu'une semaine de la campagne avec des ions lourds de 2018, qui aura duré un mois en tout. Il y a encore beaucoup à faire avant le deuxième long arrêt (LS2), qui commencera le matin du 3 décembre, et le rythme des activités se maintient sans aucun relâchement.
La source d'ions lourds s'est remarquablement bien remise de l'opération réalisée en urgence au début de l'exploitation. La chaîne d'accélérateurs située en aval, qui commence par le LEIR, a refroidi, mis en paquet, « épluché » et accéléré le flux d'ions émergeant du Linac3. Rapidement, l'intensité pour un paquet unique a dépassé l'objectif fixé pour le HL-LHC. Jusqu'au 19 novembre, les paquets ont été envoyés du PS au SPS en lots de quatre, séparés de 100 ns. À présent, un nouveau modèle est utilisé, avec des lots de trois paquets séparés de 75 ns. En plus de permettre l'injection de davantage de paquets dans les anneaux du LHC, ce modèle fournit des intensités encore plus élevées pour chaque paquet.
Il ne faut toutefois pas croire que cela a été de tout repos pour en arriver là. Chaque fois que l'on fait fonctionner les injecteurs du LHC selon de nouveaux modes, des surprises apparaissent, et les équipes concernées ont constamment des problèmes à résoudre. Ces intensités sans précédent entraînent des pertes de collimation, qui sont toujours proches des limites auxquelles un arrêt de faisceau est déclenché afin d’éviter des transitions résistives dans les aimants (de nouveaux dispositifs, qui seront installés pendant le LS2, contribueront à atténuer ce problème). Un mouvement inexpliqué de l'orbite du faisceau, à une fréquence de 10 Hz, a provoqué quelques arrêts prématurés. Il est apparu que ce mouvement était déjà présent pendant l'exploitation avec des protons qui a précédé, mais il avait alors moins d'impact qu'avec les faisceaux de plomb.
Le processus de résolution des problèmes est compliqué encore davantage par la nécessité de faire des choix, en prenant en compte le temps nécessaire pour enquêter sur les causes du problème et les gains potentiels pour le temps d'exploitation restant. Les décisions sont basées sur des données fiables, la compréhension des mécanismes physiques et des réflexions, mais elles sont sujettes aux contraintes liées à la protection de la machine. Grâce à des contacts constants avec les coordinateurs du programme du LHC, les priorités des expériences LHC sont respectées le mieux possible.
Il a été observé, par exemple, que la dimension du faisceau au point d'interaction d'ALICE était deux fois supérieure à ce qu'elle devrait être, et des mesures ont dû être prises afin de réduire l'impact de ce phénomène sur la luminosité intégrée. Une explication possible est que le point auquel la dimension du faisceau est la plus petite s'est déplacé, et s'est ainsi éloigné du point d'interaction (voir la reproduction de l’optique de faisceau dans l’expérience ALICE dans les précédentes nouvelles du LHC). Une première mesure pour y remédier (consistant à déplacer le point d'interaction à l'aide du système radiofréquence) a donné à penser que c'était effectivement le cas, mais elle a été interrompue aussitôt par un verrouillage. Une mesure prise ultérieurement a toutefois réfuté cette hypothèse. Enfin, à partir de considérations largement théoriques, Stéphane Fartoukh est parvenu à identifier la cause comme étant un couplage fort, mais très localisé, des mouvements « bêtatrons » horizontaux et verticaux, et a proposé une solution élégante pour y remédier. Cela a fonctionné, presque comme par magie, et ALICE a ainsi pu retrouver la taille de faisceau et la luminosité voulues.
Cette opération a eu lieu pendant le remplissage prévu de la source d'ions. Il a ensuite été procédé à une revalidation rigoureuse d'une nouvelle configuration des collisions, avec une inversion de la polarité de l'aimant du spectromètre d'ALICE et de l'angle de croisement, comme exigé pour la seconde moitié de la prise de données. Dans le même temps, les injecteurs sont passés au nouveau schéma d'injection, avec un espacement de 75 ns, et le LHC a appris à gérer des intensités de paquets d'ions plomb très élevées, allant jusqu'à quatre fois la valeur nominale.
Le matin du 25 novembre, ATLAS et CMS ont enregistré un nouveau record de luminosité de crête, 6×1027cm-2s-1 (c'est-à-dire six fois la valeur nominale pour le LHC). LHCb reçoit également, lors des collisions d'ions lourds, bien plus de luminosité que jamais, et ALICE est généralement maintenue à sa valeur de saturation pendant huit heures lors des cycles habituels.
Les luminosités de crête pour ATLAS et pour CMS augmentent régulièrement au fur et à mesure des cycles, l'objectif étant de démontrer la valeur nominale pour le HL-LHC. Et ce n'est pas tout, car quelques mesures spéciales vont encore arriver...