Youri Orlov, physicien des accélérateurs de renommée mondiale et figure de proue de la campagne mondiale pour les droits humains en Russie soviétique, est décédé fin septembre à l'âge de 96 ans.
Youri est né à Moscou en 1924. Il y a étudié et travaillé jusqu'en 1956 lorsque, suite à un discours retentissant en faveur de la démocratie qu'il a prononcé à l'Institut de physique théorique et expérimentale, il a été licencié avec interdiction de mener des travaux scientifiques dans la ville. Il rejoint alors l'Institut de physique d’Erevan, en Arménie, où il obtient en 1958 son premier doctorat. Pendant son séjour à Erevan, il invente le synchrotron à électrons de 5 GeV, est nommé directeur du laboratoire d'interaction électromagnétique, et est élu à l'Académie arménienne des sciences. En 1963 et 1964, il travaille au prestigieux Institut de physique nucléaire Budker à Novossibirsk, en Sibérie, où il obtient un deuxième doctorat.
En 1973, Youri retourne à Moscou et rejoint l'influent mouvement dissident aux côtés d'Andreï Sakharov, d'Alexandre Soljenitsyne, et d'autres encore. Après la signature en 1975 de l'acte final de la Conférence d’Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe, Youri fonde le Groupe Helsinki de Moscou visant à faire pression sur les autorités de l'Union soviétique afin qu'elles respectent les droits humains, en vertu des accords d'Helsinki. Son activisme lui vaut d'être arrêté en 1976. Jugé en 1978 au cours d'un simulacre de procès politique, Youri est condamné à sept ans de travaux forcés à Perm.
Dès que la nouvelle de la condamnation de Youri Orlov parvient en Europe et en Amérique du Nord, des physiciens s'érigent contre le traitement réservé à leur collègue. Au CERN, où plusieurs physiciens avaient eu des contacts personnels avec le scientifique, est fondé le Comité Youri Orlov, dont Georges Charpak est l'un des membres fondateurs. La longue et fructueuse collaboration scientifique avec l'Union soviétique est alors remise en question et le soutien d'importantes personnalités politiques des États membres du CERN est sollicité.
Après avoir survécu sept ans aux conditions extrêmes du camp de travail de Perm, Youri est déporté en Sibérie pour une durée indéterminée. Il est finalement exilé aux États-Unis en 1987 grâce à une pression internationale sans relâche. En 1988 et 1989, Youri est en congé sabbatique au CERN, en tant que visiteur scientifique de l'Université Cornell ; il travaille au sein de la division des accélérateurs pour développer l'idée des « agitateurs d’ions ». À Cornell, il participe à l'expérience g-2 du muon, collabore sur des propositions visant à mesurer les moments dipolaires électriques des protons, des électrons et des deutérons, et donne des conférences sur la physique des accélérateurs et la question des droits humains. Youri a reçu de nombreuses distinctions, parmi lesquelles le prix Wilson pour ses réalisations exceptionnelles dans le domaine de la physique des accélérateurs de particules, et le prix Andreï Sakharov 2006 de la Société américaine de physique « pour sa distinction en tant que physicien créatif et fervent défenseur, tout au long de sa vie, des droits humains internationaux et de leur développement, ainsi que de la justice et de la liberté d'expression des scientifiques. »
L'exemple de Youri, en tant que scientifique engagé pour la liberté de la science et la défense du droit d'exprimer ses convictions, est une source d'inspiration pour nous tous. Merci Youri.
Les membres de l'ancien Comité Youri Orlov