Le 30 avril 1993, le CERN annonce publiquement que les trois composantes du logiciel web (le mode en ligne fondamental client, le serveur fondamental et la bibliothèque de codes) sont mises dans le domaine public :
À l’époque, au début des années 90, les concepts de logiciel libre et gratuit et de domaine public sont encore relativement nouveaux. Richard Stallman a déjà créé la Free Software Foundation (Fondation du logiciel libre), lancé le projet GNU et élaboré sa licence publique générale (GPL). Il est déjà l’apôtre d’une protection des logiciels reposant sur le maintien de la propriété pour garantir leur libre utilisation.
Diffusion en open source
En été 1994, Tim Berners-Lee quitte le CERN pour créer le groupement World Wide Web (W3C) au MIT. François Flückiger reprend la conduite de son équipe technique au CERN. À cette époque, l’équipe prépare le lancement de la version 3 du logiciel de serveur du CERN : WWW (HTTPD).
Le mouvement en faveur des logiciels libres est alors devenu plus actif et mieux connu au CERN. Les risques liés à l’appropriation sont mieux connus, grâce notamment aux explications de Richard Stallman et au projet GNU. François Flückiger, après avoir évalué les diverses options avec le Service juridique, décide de lancer la nouvelle version en open source. Le CERN gardera les droits d’auteur pour protéger le logiciel contre l’appropriation et garantir l’attribution, mais conférera à chacun et à chacune le droit perpétuel et irrévocable de l’utiliser et de le modifier librement et sans frais.
Le 15 novembre 1994, François Flückiger envoie le message suivant à la communauté du web :
La première licence de logiciel open source du CERN
Le CERN a créé sa propre licence de logiciel à code source ouvert pour disposer d’une licence adaptée à son statut juridique d’organisation internationale. La licence s’appuyait sur deux grands principes : le droit d’auteur et la libre utilisation.
Le CERN a opté pour une licence open source totalement permissive. Les détenteurs de la licence avaient donc le droit de diffuser des versions dérivées sous la licence de leur choix, pour autant qu’ils reproduisent la mention que la version d’origine provenait du CERN :
Diffusion en open source par le MIT
En 1995, le groupement W3C a été établi au MIT, qui s’est ensuite doté d’une antenne européenne à l’Institut de Recherche en Informatique et Automatique (INRIA). Avec la version V3.0 du logiciel du web, le CERN avait diffusé sa première application en open source, mais il avait aussi diffusé sa dernière version d’un logiciel web : la balle était maintenant dans le camp du W3C.
En juillet 1995, le MIT a diffusé la version 3.1 du logiciel WWW (HTTPD), qui s’appuyait sur la version 3.0 du CERN. Tout comme le CERN l’avait fait six mois plus tôt, le MIT a opté pour une licence propre, proche de celle du CERN. Il s’agissait aussi d’une licence entièrement permissive.
Depuis lors, toutes les versions des applications web émises par le MIT ont été à code source ouvert. Et elles ont toujours fidèlement reproduit la mention du CERN. La question de l’attribution avait été réglée par la première licence élaborée par le CERN.
Vers le « copyleft »
En adoptant une politique de logiciel libre en 1994, le CERN a fait un grand pas vers une meilleure compréhension des mécanismes de libre diffusion de ses logiciels. Mais nous restions en phase d’apprentissage et n’avions pas encore atteint la maturité.
De fait, quelques années plus tard, nous avons commencé à comprendre qu’une licence totalement permissive présentait non seulement des avantages, mais aussi des risques, car elle permettait de diffuser des produits dérivés sous une licence différente. Même si une licence totalement permissive pouvait largement contribuer à diffuser un logiciel du CERN, elle gardait en elle le germe de formes plus subtiles d’appropriation et, surtout, n’incitait pas à ce qui allait plus tard s’appeler la « diffusion collaborative ».
La diffusion collaborative repose sur la création d’une communauté ouverte d’utilisateurs encouragés à améliorer et à compléter le logiciel, puis à faire profiter la communauté de leurs améliorations. Le vecteur idéal de ce type de diffusion n’est pas une licence permissive, qui n’encourage pas le détenteur à réinjecter les améliorations qu'il a apportées au profit de la communauté, mais la licence copyleft.
La philosophie des licences copyleft est la suivante :
Dans le cadre des licences open source, tout utilisateur recevant le code source du logiciel est tenu, à son tour, de communiquer le code source de toute version modifiée. Tout produit dérivé devant être diffusé sous la même licence, les licences copyleft (appelées aussi « gauche d'auteur ») excluent toute appropriation du logiciel libre par des tiers.
Licences de forme standard
Les licences copyleft sont aujourd’hui recommandées et ce sont les plus utilisées pour la diffusion libre et gratuite des logiciels du CERN. Toutefois, plutôt que de continuer à créer nos propres licences, nous nous sommes tournés vers une forme standard de licences certifiée par l’autorité de l’OSI (Open Source Initiative), telle que la GPLv3. Nous avons pris conscience qu’il était plus important d’utiliser une licence dont l’esprit est immédiatement reconnaissable et dont les conditions sont bien connues que de se doter de conditions personnalisées clarifiant notre statut. C’est le meilleur moyen d’encourager les diffusions successives.
Comme les chercheurs qui mènent des expériences, nous avions de nombreuses choses à découvrir. Il nous a fallu en apprendre beaucoup, en particulier grâce au célèbre logiciel du CERN, celui qui a changé le visage du monde.