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Martinus Justinus Godefriedus Veltman (1931 – 2021)

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Martinus J. G. Veltman (à droite) avec John S. Bell au CERN en 1973. (Image: CERN)

Martinus (« Tini ») Veltman a commencé sa carrière scientifique relativement tard ; c'est en 1963(1) qu'il obtient son doctorat à l'Université d'Utrecht, sous la direction de Leon Van Hove. À cette date, il travaille toutefois déjà au CERN, qu’il avait rejoint en 1961 et où Van Hove avait été nommé chef de la division Théorie. Au CERN, Van Hove étudiait essentiellement la physique hadronique, mais Veltman commença à s'intéresser aux interactions faibles(2) et aux algèbres de courant. C'est dans ces domaines qu'il apportera ses contributions les plus capitales et les plus durables.

Aux alentours de 1966, il s'efforce de comprendre l'origine profonde de la conservation, ou de la quasi-conservation, des courants faibles. En particulier, il tente d'y voir plus clair dans le problème complexe des « termes de Schwinger » dans les commutateurs de deux composantes de courant. Lors d'un séjour à Brookhaven, il écrit un article dans lequel il propose un ensemble d'équations de divergence généralisant la notion de dérivée covariante de l'électrodynamique quantique. Cette idée fondamentale a été reprise et développée l'année suivante par John Stewart Bell. À l'époque, on postulait l'existence d'une paire de bosons vecteurs chargés W± massifs comme intermédiaires des interactions faibles. Passionné par ces équations de divergence, Veltman décide alors d'étudier leurs propriétés du point de vue de la théorie des champs. L'électrodynamique de ces bosons chargés avait déjà été formulée par T.D Lee et C.N. Yang en 1962. Ceux-ci avaient montré que l'invariance de jauge électromagnétique permet l'expression de la charge du boson vecteur e, du moment magnétique µ et du moment quadripolaire Q à l'aide de seulement deux paramètres, e et κ, avec µ = e(1 + κ)/2mW et Q = −eκ/mW2. La théorie qui en découle est hautement divergente, mais Veltman remarque que de nombreuses divergences s'annulent pour la valeur κ = 1. C'est la valeur prédite par une théorie dans laquelle W± et le photon forment un triplet de Yang-Mills. Pour Veltman, c'est là un signe très clair que la théorie des interactions faible et électromagnétique doit obéir à une invariance de jauge de Yang-Mills.

L'étude d'une théorie des champs de Yang-Mills massifs s'avéra compliquée, du point de vue conceptuel parce que les règles de Feynman correctes n'étaient pas connues, et du point de vue pratique parce que le nombre de termes s'est accru très rapidement. Veltman dut alors développer un programme informatique pour manier ces éléments, le programme « Schoonschip » (« navire propre » en néerlandais) ; il s’agit du premier programme de manipulations symboliques appliquées à la physique des hautes énergies théorique. Schoonschip ouvrait la voie aux codes informatiques modernes utilisés pour manipuler les diagrammes de Feynman, à l'origine des avancées énormes réalisées dans les calculs très complexes des processus du Modèle standard produits ces deux dernières décennies.

L'expérience acquise par Veltman au moment de sa thèse, qui reposait sur l’utilisation de diagrammes dans lesquels les particules des lignes intermédiaires étaient sur leur couche de masse (les « règles de coupe »), s'est alors avérée précieuse. Il passe l'année 1968 à Orsay, près de Paris, à enseigner la théorie de Yang-Mills et les intégrales de chemin. En 1969, il commence à travailler à Utrecht avec Gerard 't Hooft, étudiant de troisième cycle, avec qui il partagera en 1999 le prix Nobel. Le travail qu'ils réalisent est un véritable tour de force. Ils inventent et développent de nombreuses techniques appelées à devenir des techniques de référence de la physique des particules. Le prix Nobel leur a été attribué « pour avoir élucidé la structure quantique des interactions électrofaibles en physique ». L'importance de ces travaux ne saurait être trop soulignée. Même si la citation se réfère aux interactions électrofaibles, ces résultats ont rendu possible la découverte ultérieure de la chromodynamique quantique. Depuis lors, les théories de jauge sont devenues le langage universel de la physique fondamentale.

Veltman et ’t Hooft ont donné la première présentation détaillée de leurs résultats lors d'une réunion en petit comité à Orsay en 1971. La réunion s'est avérée marquante à plusieurs égards. Tout d'abord, elle a été l'occasion de présenter le premier tableau complet des propriétés de renormalisation concernant les théories de Yang-Mills. Ensuite, elle a déclenché des discussions stimulantes entre les participants, en particulier pour ce qui concerne l'importance vitale de l'annulation de l'anomalie de courant axial.

Avec la montée en puissance du Modèle standard, une longue série de réunions a été lancée, les fameuses « réunions triangulaires » (Paris-Rome-Utrecht). Étendues par la suite à d'autres centres européens, les réunions triangulaires ont joué un rôle important dans le développement de nouvelles idées concernant la théorie des champs, et dans la mise en place d'un réseau européen en physique théorique. Veltman était une figure centrale de ces rencontres.

Après la découverte des bosons vecteurs intermédiaires, plusieurs groupes se sont lancés dans une étude systématique des corrections électrofaibles d'ordre plus élevé à apporter au Modèle standard. Le groupe dirigé par Veltman a été parmi les plus actifs. Un aspect ayant particulièrement retenu l'attention était le paramètre ρ = MW / cos θMZ. Veltman a observé que son écart par rapport à l'unité, la valeur prédite à l'ordre le moins élevé dans la théorie de Glashow-Weinberg-Salam, est une fonction quadratique de la masse du quark top et une fonction logarithmique de la masse du boson de Brout-Englert-Higgs (BEH). Des déterminations précises du paramètre ρ ont conduit à une prédiction de la masse du quark top, confirmée par la découverte du quark top par CDH au Fermilab. Des valeurs encore plus précises de la masse du W et de la masse du top ont permis d'établir des limites significatives de la masse du boson BEH, ce qui concorde avec la masse de la particule scalaire découverte par ATLAS et CMS en 2012.

Veltman est resté à Utrecht jusqu'en 1981. Il y a attiré de nombreux jeunes talents et a fondé aux Pays-Bas une école de physique des hautes énergies théorique très active. Il a été toute sa vie un ami du CERN et a été membre élu du Comité des directives scientifiques du CERN de 1976 à 1982. Ces dernières années, nous l'avons souvent vu aux réunions annuelles du Comité des directives scientifiques, auxquelles sont invités les anciens membres. Ses interventions, toujours judicieuses et parsemées de notes d'humour, y étaient particulièrement appréciées.


John Iliopoulos et Luciano Maiani

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(1) Voir sa première publication, « Unitarity and causality in a renormalizable fieldtheory with unstable particles », Physica, Vol. 29, 186 (1963).

(2) Il a même participé un temps à l'expérience de Bernardini sur les neutrinos.