At work on LEP, the world’s most powerful electron–positron collider
Le LHC va être construit dans le même tunnel qu’un autre accélérateur : le grand collisionneur électron-positron (LEP), installé en 1989. Le LEP sera extrait du tunnel à la fin de cette année pour laisser la place au LHC. Ici, les techniciens réalisent l’ajustement délicat d’un des milliers d’aimants constituant le LEP. (Image: CERN)

L’année 2000 devait être la dernière année d’exploitation du Grand collisionneur électron-positon (LEP) du CERN et elle s’est achevée dans l’expectative. À l’aube du nouveau millénaire, Luciano Maiani occupait le poste de directeur général et Roger Cashmore celui de directeur de la recherche.

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Luciano Maiani (à gauche) et Lyn Evans regardent le tunnel du LEP/LHC juste après son excavation par le tunnelier depuis le tunnel de transfert du LHC, le 15 mai 2001. La décision de fermer le LEP en 2000 a permis aux travaux du LHC de se poursuivre à plein régime. (Image : CERN)

Roger Cashmore :

Tous les comités concernés au CERN étaient d’accord pour que l’exploitation du LEP prenne fin en 2000. À cette date, les expériences ALEPH, DELPHI, L3 et OPAL menées auprès du LEP avaient déjà défini avec une grande précision le Modèle standard de la physique des particules. Le LEP avait mené à bien sa mission et le seul élément manquant au Modèle standard était l’insaisissable particule de Higgs. Personne ne savait si le boson de Higgs était à la portée du LEP, mais des analyses détaillées suggéraient que sa masse pourrait être à peine supérieure à 100 GeV et qu’il serait produit lors de collisions électron-positon en association avec une particule Z. En d’autres termes, les expériences menées auprès du LEP pouvaient avoir une chance de déboucher sur une découverte spectaculaire pour démarrer le nouveau millénaire.

Il n’y avait rien à perdre et, début 2000, la machine fut poussée au maximum de ses capacités. La date butoir du 1er septembre fut fixée et une cérémonie de clôture prévue le mois suivant. Tout au long de l’année, le Comité des expériences LEP (LEPC) avait été tenu régulièrement informé des activités, mais il n’y avait aucun signe d’un boson de Higgs dont la masse approcherait les 110 GeV. Décision fut prise de porter l’énergie des faisceaux de particules du LEP aussi haut que possible en juillet et en août : à ce stade, abîmer un élément n’avait plus vraiment d’importance. C’est alors que la situation est devenue très intéressante. Un léger excédent d’événements de masse avoisinant 114 GeV fut observé par l’expérience ALEPH, sans être corroboré par les autres expériences. J’ai toutefois appelé Luciano pour l’informer que nous étions peut-être sur le point de vivre un moment à la fois très intéressant et potentiellement très difficile ! En raison de la découverte de candidats par l’expérience ALEPH, l’exploitation finale du LEP a été prolongée jusqu’à fin octobre.

Luciano Maiani :

Je me souviens de l’appel de Roger comme si c’était hier. Quelle que soit la suite des événements, il allait falloir prendre des décisions difficiles. En octobre, nous avions célébré la fin du programme d’expériences au LEP en présence d’éminents représentants des États membres, alors que la machine était toujours en cours d’exploitation. L’excédent d’événements observé par l’expérience ALEPH était toujours là. Aussi, une fois les discours terminés, nous avons commencé, discrètement, à évaluer le coût de l’exploitation du LEP pendant une année supplémentaire et ses répercussions sur la construction du LHC.

Le problème était que les excavations réalisées pour le LHC n’allaient pas tarder à atteindre le tunnel du LEP. Et donc, une année d’exploitation supplémentaire signifierait l’interruption des travaux, la fin des contrats et le versement de pénalités aux entreprises concernées, sans compter les coûts de fonctionnement supplémentaires qui n’avaient pas été prévus au budget. Au total, nous avons estimé le coût à 120 MCHF environ, et ne parlons pas du choc psychologique infligé à la communauté du LHC. Nous n’avions aucun moyen de prévoir la réaction des organismes de financement des expériences du LHC lorsqu’ils apprendraient qu’il y aurait un retard d’un an.

Au fil du mois d’octobre, les autres expériences du LEP n’observèrent rien et l’expérience ALEPH ne trouva pas d’autres candidats. L’illustre carrière du LEP semblait toucher à sa fin, sans histoire ; c’était sans compter sur un dernier rebondissement : vers la fin du mois, l’expérience L3 annonça quelque chose qui semblait tout changer : un événement à deux jets. Chaque jet contenait un quark b et il manquait une quantité d’énergie correspondant à la masse d’une particule Z. Et surtout, l’énergie des jets avoisinait le niveau fatidique de 114 GeV.

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Michel Spiro (à gauche) et Roger Cashmore lors de la LEP Fest, au cours de laquelle les réalisations du LEP ont été célébrées, le 10 octobre 2000. (Image: CERN)

L’événement observé à L3 pouvait être interprété comme la production de la même particule que celle qu’ALEPH semblait avoir vu se désintégrer en une paire quark b-antiquark b, la particule Z associée se désintégrant quant à elle en deux neutrinos invisibles. Bref, cela pouvait être une autre trace révélant l’existence du boson de Higgs.

Nous avons alors longuement discuté de l’événement observé par L3 avec Michel Spiro, président du LEPC, pour décider finalement qu’il n’était pas concluant. Cela pouvait être le boson de Higgs, mais cela pouvait tout aussi bien être quelque chose de bien plus banal : il n’y avait pas de déséquilibre dans l’énergie transversale comme cela avait été observé dans les événements qui ont conduit à l’annonce de la découverte du boson de Z par Carlo Rubbia en 1983. Si un tel déséquilibre n’était pas constaté, l’énergie manquante pouvait avoir été perdue dans les tubes de faisceau sans avoir été détectée. Par ailleurs, des processus électromagnétiques bien connus pouvaient aussi produire ce type de résultat.

L’événement observé à L3 n’était donc finalement pas si révélateur et une décision très difficile allait devoir être prise à la fin du mois. Quelle que soit cette décision, une partie de la communauté serait déçue. Les événements se sont alors enchaînés rapidement. Le 3 novembre, le LEPC rendait son verdict : non concluant. Même chose ensuite du côté de la Commission de la recherche et du Comité des directives scientifiques (SPC). C’était à nous de décider ; alors, avec Roger et tout le Directoire, nous avons tranché : le LEP, c’était fini. Le LHC était la machine la plus à même de nous révéler s’il y avait un boson de Higgs à 114 GeV ou si, en l’occurrence, le LEP avait poursuivi des chimères.

Le 4 novembre, j’avais déjà écrit à George Kalmus, président du SPC. « La perspective de nous retrouver en septembre 2001 avec 3,5 à 4 sigmas, une situation financière dégradée, un retard dans la construction du LHC et une communauté LHC dispersée n’est pas très encourageante. Je préfère ne pas m’engager dans cette voie-là. » Le 17 novembre, nous recommandions au Comité du Conseil de ne pas prolonger d’une année supplémentaire l’exploitation du LEP. L’autre option consistant à miser 120 MCHF sur quelques anomalies dans les résultats, le Conseil, dans sa sagesse, suivit notre recommandation. La dernière année du LEP a connu son lot d’émotions contradictoires. Les espoirs restaient vifs au CERN à mesure que les analyses étaient affinées et lorsque nous avons fait part de notre décision, celle-ci suscita des réactions mélangées : soulagement, choc, ou incrédulité. Fin 2000, la décision du Conseil nous propulsa définitivement dans l’ère du LHC, sur la trace du boson de Higgs et vers d’autres nouvelles aventures.