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ISOLDE dévoile une propriété fondamentale de l'élément le plus rare sur la Terre

Une découverte majeure pour la recherche fondamentale et médicale, l'astate étant un candidat prometteur pour le traitement du cancer par thérapie alpha ciblée

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ISOLDE step used to measure the electron affinity of the element astatine
Dispositif pour mesurer l'affinité électronique de l'astate. Un faisceau d’ions négatifs d'astate est envoyé vers un appareil à plusieurs composants. Une lumière laser (rouge) est projetée sur les ions pour mesurer l'énergie nécessaire pour extraire l'électron supplémentaire des ions (encadré 1) et transformer ces ions en atomes neutres (encadré 2) (Image: D. Leimbach et al.)

Une équipe de chercheurs d'ISOLDE, l'installation de physique nucléaire du CERN, a mesuré pour la première fois ce que l'on appelle l'affinité électronique de l'astate, l'élément chimique le plus rare sur la Terre présent dans la nature. Le résultat, décrit dans un article publié récemment dans Nature Communications, est significatif pour la recherche tant fondamentale qu'appliquée. Cette découverte, qui révèle des propriétés jusqu'ici inconnues de cet élément et permet de tester des modèles théoriques, présente également un intérêt pratique, l'astate étant un candidat prometteur pour la création de composés chimiques destinés au traitement du cancer par thérapie alpha ciblée.

L'affinité électronique est l'énergie qui se dégage lorsqu'un électron est ajouté à un atome neutre à l'état gazeux pour former un ion négatif. C'est l'une des propriétés les plus fondamentales d'un élément chimique. Avec l'énergie d'ionisation, qui est l'énergie nécessaire pour extraire un électron de l'atome, l'affinité électronique définit plusieurs autres caractéristiques d'un élément, notamment son électronégativité, c'est-à-dire la capacité d'un élément à attirer des électrons lors de la formation d'une liaison chimique entre atomes.

L'astate a été découvert dans les années 1940, mais ses propriétés sont connues principalement sur la base de calculs théoriques ou par extrapolation des propriétés de sa famille dans le tableau périodique (l'astate est un membre de la famille des halogènes, qui comprend le chlore et l'iode). En effet, cet élément est rare sur la Terre, et les quantités infimes que l'on réussit à produire en laboratoire ne permettent pas de mesurer ses propriétés avec les techniques traditionnelles, à l'exception notable d'une mesure de l'énergie d'ionisation, déjà réalisée auprès d'ISOLDE.

Dans la nouvelle étude d'ISOLDE, les atomes d'astate ont d'abord été produits en même temps que d'autres atomes au moyen d’un faisceau de protons de haute énergie issu du Booster du Synchrotron à protons (PSB) percutant une cible en thorium. Les atomes d'astate ont ensuite été ionisés négativement, puis les ions de l'isotope 211At ont été extraits et envoyés vers un dispositif spécial de mesure dans lequel une lumière laser accordable a été projetée sur eux afin de mesurer la quantité d'énergie nécessaire pour extraire l'électron supplémentaire de l'ion 211At et transformer ainsi l'ion en un atome neutre.

À partir de cette mesure, les scientifiques d'ISOLDE ont obtenu une valeur de 2,41578 électronvolts pour l'affinité électronique de l'astate. Cette valeur, qui correspond à celle que les auteurs de l'étude ont obtenue sur la base de calculs théoriques de haut niveau, révèle que, parmi tous les halogènes, c’est l’astate qui a l'affinité électronique la plus faible, même si elle reste supérieure à l’affinité électronique de tous les autres éléments non halogènes mesurés à ce jour. Ce n’est pas tout : les chercheurs se sont ensuite appuyés sur la valeur de l'affinité électronique et celle de l'énergie d'ionisation, mesurée précédemment, pour identifier plusieurs autres propriétés de l'astate, telles que son électronégativité.

Ces propriétés présentent de l'intérêt pour les études portant sur l'utilisation éventuelle des composés 211At dans le traitement du cancer par thérapie alpha ciblée, qui consiste à exposer les cellules cancéreuses à des rayons alpha. L'astate 211At est une source idéale de rayonnements alpha, mais la plupart de ses composés à l'étude libèrent trop rapidement des ions 211At négatifs, qui pourraient endommager les cellules saines avant que les composés n'atteignent les cellules cancéreuses.

« Nos résultats pourraient être utilisés pour mieux comprendre cette réaction de libération et la stabilité des composés 211At candidats pour la thérapie alpha ciblée », explique David Leimbach, auteur principal de l'étude. « De plus, nos conclusions ouvrent la voie aux mesures de l'affinité électronique des éléments plus lourds que l'astate, potentiellement des éléments super-lourds, qui sont produits un atome à la fois. »

« Ces résultats sont l’aboutissement de dix ans de travaux auprès d'ISOLDE, visant à identifier les propriétés fondamentales de l'astate, son énergie d’ionisation et son affinité électronique, le tout nous ayant finalement permis de connaître son électronégativité », ajoute Sebastian Rothe, auteur principal de l'étude précédente d'ISOLDE.