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ISOLDE ouvre la voie à la réalisation d’une horloge nucléaire

L’observation, auprès de l’installation de physique nucléaire du CERN, de la désintégration d'un noyau de thorium-229 dans un système à l’état solide ouvre la voie à la réalisation d’une horloge qui pourrait supplanter les horloges atomiques actuelles

The ISOLDE facility seen from above.

Vue des lignes de faisceaux d'ISOLDE (Image: CERN)

Les horloges atomiques sont les horloges les plus précises au monde. Basées sur la transition périodique entre deux états électroniques d'un atome, elles peuvent enregistrer le passage du temps avec une précision de l'ordre d'un quintillionième, ce qui signifie qu'elles ne vont ni avancer ni retarder d’une seconde en plus de 30 milliards d'années, durée qui représente plus de deux fois l'âge de l'Univers.

Dans un article publié aujourd’hui dans la revue Nature, une équipe internationale travaillant auprès d'ISOLDE, l'installation de physique nucléaire du CERN, annonce avoir franchi une étape décisive pour la construction d'une horloge basée sur la transition périodique entre deux états d'un noyau atomique, en l’occurrence le noyau d'un isotope de l'élément thorium, le thorium-229.

Une telle horloge nucléaire pourrait être plus précise que les meilleures horloges atomiques actuelles, en raison de la dimension et des constituants d'un noyau, différents de ceux d'un atome. En outre, elle pourrait constituer un instrument sensible pour la recherche de nouveaux phénomènes au-delà du Modèle standard, qui est, à ce jour, la meilleure description que nous avons du monde subatomique. Par exemple, elle permettrait de s’intéresser aux éventuelles variations dans les constantes fondamentales de la nature au fil du temps et de rechercher la matière noire ultra-légère.

Vue d'artiste d'une horloge nucléaire. (Image: APS/Ann. Phys.  531, 1800381 (2019))
Vue d'artiste d'une horloge nucléaire. (Image: APS/Ann. Phys.  531, 1800381 (2019))

En 2003, Ekkehard Peik et Christian Tamm avaient proposé une horloge nucléaire basée sur la transition entre l'état fondamental du noyau de thorium-229 et le premier état à énergie plus élevée (dit isomère) ; depuis lors, l’enjeu était d'observer et de définir cette transition nucléaire.

Au cours de ces deux dernières décennies, des chercheurs ont mesuré avec une précision croissante l'énergie de l'isomère, qu’il est nécessaire de connaître précisément pour pouvoir développer des lasers chargés d’assurer la transition vers l'isomère. Cependant, malgré tous leurs efforts, ils n'ont pas réussi à observer la lumière émise lors de la transition de l'isomère vers l'état fondamental. Ce phénomène, appelé désintégration radiative de l'isomère, lequel a une durée de vie relativement longue, est un élément clé pour le développement d'une horloge nucléaire, dans la mesure où cela permettrait, entre autres, de déterminer avec plus de précision l'énergie de l'isomère.

Une équipe travaillant auprès d'ISOLDE a finalement réussi cet exploit en produisant d'une façon novatrice des noyaux de thorium-229 à l'état isomérique, et en les analysant au moyen d'une technique appelée spectroscopie dans l’ultraviolet du vide. La longueur d'ondes de la lumière observée correspond à un isomère possédant une énergie de 8,338 électronvolts (eV) avec une incertitude de 0,024 eV – c’est-à-dire avec une précision sept fois supérieure aux plus précises des mesures précédentes.

Le succès de l'équipe est dû en grande partie à la production de noyaux isomériques de thorium-229 au moyen de la désintégration bêta d'isotopes d'actinium-229, produits à ISOLDE et incorporés dans des cristaux de fluorure de calcium ou de fluorure de magnésium.

« ISOLDE est actuellement l'une des deux seules installations au monde capable de produire des isotopes d'actinium-229, explique Sandro Kraemer, auteur principal de l'article. En incorporant ces isotopes dans des cristaux de fluorure de calcium ou de fluorure de magnésium, nous avons produit beaucoup plus de noyaux isomériques de thorium-229, augmentant ainsi nos chances d'observer leur désintégration radiative ».

Cette approche novatrice pour produire des noyaux isomériques de thorium-229 a permis également de définir la durée de vie de l'isomère dans le cristal de fluorure de magnésium. Il est en effet nécessaire de connaître cette durée de vie afin de prédire la précision d'une horloge nucléaire au thorium-229 reposant sur ce système à l’état solide. La longue durée de vie de cet isomère, de 16,1 minutes avec une incertitude de 2,5 minutes, confirme les estimations théoriques et indique qu'il est possible d'obtenir une précision susceptible de concurrencer celle des horloges atomiques actuelles les plus précises.

« Les systèmes de l’état solide, tels que les cristaux de fluorure de magnésium, constituent l’une des deux approches possibles permettant de fabriquer une future horloge nucléaire au thorium-229, indique Piet Van Duppen, porte-parole de l'équipe. Notre étude marque une étape cruciale dans cette direction ; elle facilitera le développement des lasers nécessaires pour assurer la transition périodique qui fera fonctionner une telle horloge ».

 

ISOLDE ouvre la voie à la réalisation d’une horloge nucléaire. (Video: CERN)