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Asymétrie matière-antimatière : une nouvelle pièce du puzzle dévoilée

L'expérience LHCb au CERN a révélé une asymétrie fondamentale dans le comportement des baryons

View of the LHCb experiment in its underground cavern (image: CERN)

Vue de l'expérience LHCb dans sa caverne souterraine (image : CERN)

Hier, lors des Rencontres de Moriond, qui se déroulent à La Thuile, en Italie, la collaboration LHCb au CERN a annoncé qu’une nouvelle étape avait été franchie dans notre compréhension des différences subtiles, mais profondes, entre la matière et l'antimatière. Lors de son analyse de vastes quantités de données produites par le Grand collisionneur de hadrons (LHC), l'équipe internationale a pu montrer de façon très concluante que les particules appelées baryons, dont font partie les protons et les neutrons formant les noyaux atomiques, subissent l’influence d’une asymétrie en miroir dans les lois fondamentales de la nature, qui fait que matière et antimatière se comportent différemment. Cette découverte apporte de nouvelles pistes pour expliquer l’agencement des particules élémentaires composant la matière dans le Modèle standard de la physique des particules, et comprendre pourquoi, à ce qu’il semble, la matière l'a emporté sur l'antimatière après le Big Bang.

Observée pour la première fois dans les années 1960 chez les mésons, particules constituées d'une paire quark-antiquark, la violation de la symétrie charge-parité (CP) a fait l'objet de nombreuses études s’appuyant sur des expériences sur cible fixe ou auprès de collisionneurs. On s'attendait à ce que l'autre grande catégorie de particules connues, à savoir les baryons, constitués de trois quarks, manifestent aussi ce phénomène, mais, jusqu'à présent, des expériences telles que LHCb n’avaient observé dans les baryons que des indices de ce phénomène.

« S’il a fallu plus de temps pour observer la violation de CP dans les baryons que dans les mésons, c’est à cause de la dimension du phénomène et du volume de données disponibles, explique Vincenzo Vagnoni, porte-parole de la collaboration LHCb. Nous avions besoin d'une machine comme le LHC qui soit capable de produire un nombre suffisamment important de baryons de beauté et de leurs équivalents dans l'antimatière, et nous avions besoin d’une expérience qui soit capable de repérer leurs produits de désintégration. Il a fallu plus de 80 000 désintégrations de baryons pour que nous puissions observer pour la première fois une asymétrie matière-antimatière dans cette catégorie de particules. »

On sait que les particules et leurs équivalents dans l’antimatière ont une masse identique et des charges opposées. Cependant, lorsque des particules se désintègrent en d'autres particules, par exemple lorsqu'un noyau atomique subit une désintégration radioactive, la violation de CP provoque une fissure dans cette symétrie en miroir. Cet effet peut se manifester par un écart dans les taux de désintégration en particules plus légères selon que l’on observe les particules ou leurs équivalents dans l’antimatière. Ces écarts peuvent être constatés au moyen de détecteurs et de techniques d'analyse très perfectionnés. 

La collaboration LHCb a observé la violation de CP dans un baryon plus lourd et plus éphémère que les protons et les neutrons, le baryon lambda Λb, composé d'un quark up, d'un quark down et d'un quark beauté. Tout d'abord, l’équipe a passé au crible les données collectées par le détecteur LHCb au cours de la première et de la deuxième périodes d’exploitation du LHC (respectivement de 2009 à 2013 et de 2015 à 2018), à la recherche de la désintégration du Λb en un proton, un kaon et une paire de pions de charge opposée, ainsi que de la désintégration de son équivalent dans l’antimatière, l’anti-Λb. Elle a ensuite comptabilisé le nombre de désintégrations observées pour chacune de ces deux particules et a calculé la différence.

L'analyse a montré que la différence entre le nombre de désintégrations de Λb et celui d’anti-Λb, divisée par la somme des deux, s’écarte de zéro de 2,45 %, avec une incertitude d’environ 0,47 %. D'un point de vue statistique, le résultat s’écarte de zéro de 5,2 écarts-types, ce qui est supérieur au seuil requis pour revendiquer une observation de l'existence de la violation de CP dans cette désintégration du baryon.

Même si, depuis longtemps, l’existence d’une violation de CP dans les baryons était attendue, les prédictions complexes du Modèle standard de la physique des particules ne sont pas encore suffisamment précises pour permettre une comparaison approfondie entre la théorie et les mesures réalisées par LHCb.

Étonnamment, le degré de violation de CP prédit par le Modèle standard est de plusieurs ordres de grandeur trop faible pour expliquer l'asymétrie matière-antimatière observée dans l’Univers. Cela laisse penser qu’il existe d’autres sources de violation de CP que celles prédites par le Modèle standard. La recherche de ces sources constitue un volet important du programme de physique du LHC et elle se poursuivra auprès des collisionneurs qui pourraient lui succéder.

« Plus il y a de systèmes dans lesquels nous observons des violations de CP, plus les mesures sont précises, et plus nous avons de possibilités de tester le Modèle standard et d’explorer la physique au-delà de celui-ci, explique Vincenzo Vagnoni. La toute première observation de la violation de CP dans une désintégration de baryons ouvre la voie à d'autres recherches théoriques et expérimentales sur la nature de la violation de CP, fixant potentiellement de nouvelles limites pour la physique au-delà du Modèle standard. »

« Je félicite la collaboration LHCb pour ce brillant résultat. Il met une fois de plus en lumière le potentiel scientifique du LHC et de ses expériences, en offrant un nouvel outil pour explorer l'asymétrie matière-antimatière dans l’Univers », déclare Joachim Mnich, directeur de la recherche et de l'informatique du CERN.