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Opinion : Transmettre la science

Sijbrand de Jong explique comment des physiciens, pourtant bien occupés, trouvent le temps de transmettre leurs connaissances à la jeune génération

Je suis rentré aux Pays-Bas en 1998 pour prendre le poste de professeur en physique expérimentale à l'université Radboud de Nimègue. Après plus de 10 ans passés à faire presque exclusivement de la recherche au CERN et ailleurs, j'ai constaté (mais je m’en doutais déjà) qu'enseigner me plaisait énormément. En donnant des cours de premier cycle en physique, j'ai rencontré des enseignants du secondaire qui aidaient des étudiants à faire la transition entre l'enseignement secondaire et supérieur. En effet, si de nombreux jeunes passent d'un système à l'autre sans problème, d'autres se rendent compte au cours de leur première année qu'étudier la physique à l'université est différent de ce qu'ils avaient imaginé. C’est pourquoi on constatait un grand nombre d’abandons en première année.

Il fallait tenter de remédier à cette situation. Alors que je venais de lire un article consacré à un projet sur les rayons cosmiques, mené par le physicien expérimental Jim Pinfold dans une école secondaire au Canada, un de mes collègues, Charles Timmermans, m'a proposé un projet similaire pour notre université. C'est ainsi que nous avons lancé en 2000 le projet Nijmegen Area High School Array. Deux ans plus tard nous avons mis sur pied au niveau national, en collaboration avec d'autres personnes, le projet HiSPARC (High-School Project on Astrophysics Research with Cosmics), qui consistait à placer des détecteurs à scintillateurs sur les toits d'établissements scolaires pour former un réseau de détecteurs. Ce projet est à la fois de la vraie science et un moyen d'enseigner aux élèves des méthodes de recherche. Nous nous sommes beaucoup amusés à construire les détecteurs avec les élèves, à nous promener sur le toit des écoles en toute légalité et à analyser les données recueillies. Bien entendu, il est impossible de tout contrôler et il est parfois difficile de garder les objectifs en vue. Les établissements scolaires ont ainsi tendance à se montrer assez désinvoltes en ce qui concerne le bon fonctionnement de leurs détecteurs, alors qu'il est essentiel de disposer d'un réseau fiable pour obtenir des résultats en physique.

Le projet HiSPARC a eu un effet secondaire intéressant. Alors que je travaillais avec mon groupe sur l'expérience DØ au Tevatron, l’objectif étant le boson de Higgs, j'ai été de façon plus ou moins adiabatique attiré par l'Observatoire Pierre Auger (PAO), l'observatoire international dédié à l'étude des rayons cosmiques en Argentine. Les particules les plus énergétiques de l'Univers sont particulièrement mystérieuses : nous ne savons toujours pas précisément d'où elles viennent, même si les résultats les plus récents du PAO semblent indiquer que nous sommes sur le point de trouver la réponse. De même, nous ne savons pas comment elles ont pu atteindre une énergie de 100 millions TeV. Ma participation en tant qu'universitaire à un projet scolaire a donné à ma carrière une toute autre direction et, au cours des cinq dernières années, j'ai consacré toutes mes recherches au PAO.

Encouragé par mon réseau d'enseignants, j'ai mis sur pied il y a environ 10 ans un programme d'étude conjoint entre six établissements scolaires axé sur la nouvelle discipline créée par le ministère aux Pays-Bas –  « nature, vie et technologie », qui intègre des matières relevant de la science, de la technologie, de l'ingénierie et des mathématiques. Ainsi, tous les vendredis après-midi, 350 élèves nous rejoignent à la faculté des sciences, ce qui est en soi un véritable casse-tête du point de vue de l'organisation et de la logistique. Des groupes sont organisés au cours de l'après-midi en fonction des activités : cours magistraux, séminaires, travaux pratiques en biologie, chimie, physique, informatique, etc., qui se passent dans dix lieux différents à l'intérieur (et parfois à l'extérieur) du bâtiment, à raison d’un enseignant par groupe de 20-25 élèves. Suite à ce projet, j'ai lancé en 2011 un programme pré-universitaire de deux ans, destiné aux meilleurs élèves des dernières classes du secondaire, qui se déroule également à l’université et implique une vingtaine d'enseignants et quatorze membres de la faculté. Le premier groupe d'élèves est arrivé en 2013 et l'un des premiers diplômés du programme a récemment effectué un stage au CERN.

Ces activités demandent beaucoup de travail. Mais cela en vaut la peine. En réfléchissant à la meilleure façon d'enseigner la physique des particules à des élèves aux milieux et aux bagages divers, j'ai acquis une meilleure compréhension des fondamentaux de la discipline. Même la tâche, parfois fastidieuse, de réunir les directeurs d'école et de les convaincre de réaliser des projets inhabituels m'a servi dans mon rôle actuel de président du Conseil du CERN. Travailler avec des élèves et des enseignants m'a beaucoup apporté, sans entraver mon activité de recherche ou mes autres responsabilités. Et donc, si j’arrive à mener de front de tels projets et des projets scientifiques, il me semble que la plupart des scientifiques pourraient consacrer du temps à la transmission pour passer le flambeau à la jeune génération.

Sijbrand de Jong, Président du Conseil du CERN

Cet article a initialement été publié dans le magazine CERN Courier .