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De nouvelles expériences sur la gravité au CERN

Les expériences ALPHA-g et GBAR ont reçu leurs premiers faisceaux d'antiprotons

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ALPHA Experiment - insertion of ALPHA G
L'installation de l'expérience ALPHA-g dans le hall du Décélérateur d'antiprotons, au CERN. (Image: CERN)

Nous l'avons appris à l'école : si on lâche deux objets de masses différentes et que ceux-ci ne subissent aucune force de frottement, ils vont tomber à la même vitesse, en raison de la gravité terrestre. Nous n'avons par contre pas appris si l'antimatière tombe à la même vitesse que la matière ordinaire, ou si elle se comporte différemment. La raison en est simple : cela n'a pas été mesuré directement par des expériences. Toutefois, deux nouvelles expériences du CERN, ALPHA-g et GBAR, vont à présent commencer leur exploration en vue de répondre à cette question.

L'expérience ALPHA-g ressemble beaucoup à l'expérience ALPHA, qui produit des atomes d'antihydrogène neutres en recueillant des antiprotons du Décélérateur d'antiprotons (AD) et en les liant à des positons provenant d'une source de l'isotope Na-22. ALPHA confine alors les atomes d'hydrogène neutres ainsi créés dans un piège magnétique, et projette sur eux une lumière laser ou des micro-ondes afin de mesurer leur structure interne. L'expérience ALPHA-g fonctionne avec un dispositif du même type pour créer et piéger les antiatomes, mais celui-ci est orienté verticalement. Du fait de cette disposition, les scientifiques peuvent mesurer précisément dans quelles positions verticales les atomes d'antihydrogène s'annihilent avec la matière ordinaire une fois que le champ magnétique du piège est arrêté et que ceux-ci se retrouvent uniquement sous l'influence de la gravité. Les valeurs correspondant à ces positions leur permettront de mesurer l'effet de la gravité sur les antiatomes.

L'expérience GBAR, également située dans le hall de l'AD, utilise une technique différente. Elle prévoit d'utiliser des antiprotons fournis par l'anneau de décélération ELENA et des positons produits par un petit accélérateur linéaire afin de créer des ions antihydrogène, composés d'un antiproton et de deux positons. Après avoir piégé les ions antihydrogène et les avoir portés à une température extrêmement basse (environ 10 microkelvin), l’expérience utilisera une lumière laser pour retirer un de leurs positons et les transformer ainsi en antiatomes neutres. Ces antiatomes neutres seront alors libérés du piège et ils tomberont d'une hauteur de 20 centimètres ; les scientifiques pourront observer leur comportement pendant cette chute.

Après plusieurs mois pendant lesquels les scientifiques et les ingénieurs ont travaillé de façon ininterrompue pour assembler les expériences, ALPHA-g et GBAR ont reçu leurs premiers faisceaux d'antiprotons, ce qui a marqué le coup d'envoi pour les deux expériences. ALPHA-g a commencé à recevoir des faisceaux le 30 octobre, après avoir obtenu les approbations de sécurité nécessaires. ELENA a envoyé ses premiers faisceaux à GBAR le 20 juillet ; depuis cette date, les scientifiques de l'AD et de GBAR s’efforcent de perfectionner l'envoi du faisceau. À l’heure actuelle, les équipes d'ALPHA-g et de GBAR travaillent d'arrache-pied afin de mettre en service leurs expériences avant l'arrêt des accélérateurs du CERN, qui aura lieu dans quelques semaines et durera deux ans, pendant lesquels seront menées des activités de maintenance. Jeffrey Hangst, porte-parole de l'expérience ALPHA, explique : « Nous espérons que nous aurons la chance de réaliser les premières mesures de l'effet de la gravité sur l'antimatière, mais nous sommes dans une course contre la montre. » Et Patrice Pérez, porte-parole de GBAR, renchérit : « L'expérience GBAR utilise un dispositif totalement nouveau et un faisceau d'antiprotons qui est encore dans sa phase de mise en service. Nous espérons produire de l'antihydrogène cette année, et nous travaillons dans le but d’être prêts à mesurer les effets de la gravité sur l'antimatière dès que les antiprotons seront de retour, en 2021. »

Une autre expérience située dans le hall de l'AD, AEgIS, qui est opérationnelle depuis plusieurs années, cherche également à mesurer l'effet de la gravité sur l'antihydrogène, avec une technique encore différente. Tout comme GBAR, AEgIS espère produire ses premiers atomes d'antihydrogène cette année encore.

Si l'on découvre des différences entre le comportement de l'antimatière et celui de la matière sous l'effet de la gravité, cela pourrait nous orienter vers une théorie quantique de la gravité, et peut-être faire la lumière sur la raison pour laquelle l'Univers semble être composé de matière et non pas d'antimatière.

Jeffrey Hangst explique la configuration d'ALPHA-g, dans le hall du Décélérateur d'antiprotons, pendant les préparatifs en vue du lancement de l'expérience. (Vidéo : Jacques Fichet/CERN)