En juillet 1969, quelques jours seulement après le premier atterrissage sur la Lune, le Directeur général du CERN de l'époque, Bernard Gregory, envoyait à la NASA le message suivant : « Le CERN, qui étudie les plus petites particules de l'Univers, adresse ses chaleureuses félicitations à la NASA, qui s’intéresse aux particules les plus grandes, pour la conclusion triomphale de la mission Apollo 11. » Plus de 50 ans plus tard, ces deux mondes se rencontrent : une technologie créée par le CERN, Timepix, accompagne le lancement d’Artemis 1, la mission de la NASA qui inaugure une nouvelle ère de l'exploration humaine de l'espace.
Stuart George, ancien physicien du CERN travaillant maintenant à la NASA, dans le groupe d'analyse du rayonnement spatial (Space Radiation Analysis Group – SRAG), est particulièrement bien placé pour raconter comment cette technologie des détecteurs a atterri dans les laboratoires de la NASA. Accueilli au sein du groupe Radioprotection du CERN dans le cadre du programme pour doctorants Marie Curie, Stuart a fait ses armes sur les détecteurs Medipix, puces utilisées pour l'imagerie des particules, dérivées des détecteurs servant à suivre la trajectoire des particules dans les expériences du LHC. Après s'être formé quelques années sur ce détecteur polyvalent, il a ensuite travaillé à l'université de Houston, puis à la NASA pour mettre en application dans l'espace la technologie du détecteur Timepix (cousin de Medipix).
Développés par la collaboration Medipix2 située au CERN, les détecteurs Timepix sont extrêmement petits. Néanmoins, il s'agit de puissants trajectographes, capables de surveiller le rayonnement environnant. Les particules qui interagissent sur son capteur pixellisé peuvent être classées selon leur forme caractéristique et fournir des informations sur le spectre des rayonnements dans divers environnements, par exemple dans des véhicules spatiaux.
À mesure que les humains s'aventurent au-delà de la magnétosphère protectrice de la Terre, le problème du rayonnement gagne en importance. « Du temps d'Apollo, les voyages duraient une ou deux semaines. Pour les futures missions, on prévoit des séjours d’au moins un mois, explique Stuart. Pendant des missions aussi longues, il est nécessaire de surveiller en temps réel le rayonnement environnant pour atténuer les risques radiologiques liés notamment aux événements de météorologie spatiale. » Les technologies de détection des rayonnements telles que Timepix permettent de mesurer la dose reçue par les membres de l'équipage, de mieux connaître l'environnement ambiant et de concevoir des modèles permettant d’avertir les spationautes par une alerte précoce afin qu’ils puissent s'abriter et se protéger.
À l'origine, les détecteurs Timepix ont été envoyés à titre de démonstration technique sur l'ISS en 2012 grâce aux efforts d'équipes issues de l'université de Houston, de l'IEAP de Prague et du SRAG de la NASA. Depuis lors, le SRAG et la division Systèmes avancées d'exploration de la NASA renforcent cette technologie en vue de diverses missions, faisant des systèmes reposant sur Timepix les dosimètres standard de la NASA.
En octobre, nous avons célébré le dixième anniversaire du déploiement de Timepix dans la Station spatiale internationale. Timepix est aujourd'hui un acteur clé du nouveau détecteur de rayonnement HERA de la NASA, compris dans le programme Artemis. Lancée cette semaine, la mission Artemis 1 a emporté trois puces Timepix sur un détecteur HERA et une quatrième faisant partie de la première expérience de biologie dans l'espace lointain. Un système reposant sur la puce Timepix est aussi intégré dans l'atterrisseur Astrobotic, l'une des trois premières missions lunaires robotisées du programme, qui sera lancée au premier trimestre 2023. Le système fournira des données en temps réel sur l'environnement radioactif à la surface de la Lune, une première dans l'Histoire. « Le détecteur Timepix est plus léger, plus puissant et moins énergivore que d'autres matériels. Il résiste aussi aux vibrations fortes et aux secousses qui se produisent lors des décollages ainsi qu'aux débits de flux élevés de l'espace lointain », ajoute Stuart.
Non content de servir de dosimètre aux spationautes, Timepix pourrait aussi être utilisé pour prédire des tempêtes solaires et autres évènements spatiaux susceptibles d’avoir un impact sur la Terre et son environnement, de perturber les télécommunications ou de provoquer des surcharges du réseau électrique. « Exploiter Timepix pour prédire des tempêtes solaires serait une tâche plus compliquée. Les puces Timepix sont extrêmement fiables dans leur conception actuelle, mais elles devraient rester cinq à dix ans dans l'espace, dans un environnement d'ultravide, et résister à des températures extrêmes liées à l’exposition solaire », souligne Stuart. Aujourd'hui, ses collègues travaillent à rendre ce détecteur plus fiable et plus autonome que jamais.
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Le 18 novembre, Stuart George animera un séminaire sur les dix ans de Timepix dans l'espace. Ce séminaire sera consacré à l’environnement rayonnant dans l’espace et à ses conséquences pour la santé humaine, aux conditions requises pour mesurer le rayonnement dans l'espace et aux capacités des détecteurs à pixels hybrides en la matière. Pour plus d’informations, consultez la page https://indico.cern.ch/event/1218130/.
En développant des technologies innovantes et un savoir-faire reconnu, applicables à des domaines autres que la physique des hautes énergies, les ingénieurs, techniciens et scientifiques du CERN contribuent à résoudre des problèmes sociétaux au niveau mondial dans des secteurs tels que l'aérospatial. Pour en savoir plus sur les applications aérospatiales des technologies du CERN : https://kt.cern/aerospace