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Antiatomes géants, lasers et asymétrie matière-antimatière

Les antiatomes géants de l’expérience AEgIS

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Fat antiatoms, laser beams and matter-antimatter asymmetry

L’expérience AEGIS, dans le hall de l’antimatière, au CERN. Le but de l’expérience est de réaliser la première mesure directe de l’effet de la gravitation terrestre sur l’antimatière. (Image : CERN)

Une version longue (en anglais) de cet article est parue dans UK news from CERN [PDF]

Imaginez qu’on puisse « gonfler » un atome à l’aide d’un laser, puis le ralentir, l’immobiliser ou le déformer. C’est précisément ce qu’essayent de faire Stephen Hogan (University College de Londres) et une équipe internationale de scientifiques dans le cadre de l’expérience AEgIS menée auprès du Décélérateur d’antiprotons du CERN.

AEgIS (Antimatter Experiment: Gravity, Interferometry, Spectroscopy)  est une expérience conçue pour vérifier si l’antimatière se conforme au principe d’équivalence faible, selon lequel l’accélération subie par une particule dans un champ gravitationnel est indépendante de sa masse et de sa composition. Ce principe a été vérifié avec une très bonne précision pour la matière, mais jamais pour l’antimatière. Si les résultats d’AEgIS devaient montrer que l’accélération de l’antimatière dans le champ gravitationnel de la Terre est différente de celle de la matière, cela pourrait donner des indications sur la raison pour laquelle notre Univers est à présent dominé par la matière, alors que matière et antimatière ont été produites en quantités égales au moment du Big Bang.

Jusqu’à présent, Hogan a travaillé sur la matière. « Nous utilisons des lasers ayant des longueurs d’onde bien définies pour porter les atomes à des états hautement excités, dits de Rydberg, dans lesquels la charge de l’électron est "répandue" autour de l’atome, explique Hogan. Enrico Fermi appelait les atomes dans cet état les "atomes géants" ».

Tous les atomes et les molécules ont des états de Rydberg présentant des propriétés similaires ; leur sensibilité aux champs électriques signifie qu’on peut les manipuler au moyen de distributions de champs électriques appropriées. On peut ainsi décélérer et piéger les atomes et les molécules pour des applications telles que la chimie froide et le traitement quantique de l'information. 

Travailler sur l’antimatière est un peu différent, souligne Hogan. « Dans l'expérience AEgIS, les atomes d'antihydrogène sont produits par la combinaison d'antiprotons et de positons. À l’issue de ce processus, l’antihydrogène est produit dans des états de Rydberg – les atomes d’antihydrogène sont des "antiatomes géants". Contrairement à ce qui se passe dans mes expériences sur la matière, les atomes d’antihydrogène sont formés à des vitesses très basses ; c’est pourquoi nous devront utiliser certaines techniques pour les accélérer, les transporter et produire des faisceaux ayant des caractéristiques bien définies. »

AEgIS accélérera les atomes d’antihydrogène dans des états excités pour les porter à des vitesses précisément définies, ce qui permettra d'étudier la structure interne des antiatomes et de mesurer l'accélération de l'antimatière dans le champ gravitationnel de la Terre.

« Nous savons que, dans notre Univers observable, il y a une asymétrie entre la matière et l’antimatière, mais il n’existe pas de consensus entre les théoriciens sur les raisons de cet état de choses. Or, si l'effet de la gravitation n'est pas le même sur l'antimatière, c'est une indication importante. Les résultats de notre expérience nous orienteront vers une théorie appropriée. »