L'imagerie par rayons X est une technique couramment utilisée pour prendre des clichés de l'intérieur des matériaux : si vous avez déjà fait une radiographie de vos dents ou d'une autre partie de votre corps, vous voyez sans doute à quoi ressemblent les images ainsi produites. L'imagerie neutronique est une technique analogue ; elle se révèle parfois plus efficace, par exemple pour observer l'intérieur de métaux denses, mais son utilisation est moins répandue. Il est en effet difficile de générer des faisceaux de neutrons suffisamment intenses pour produire des clichés, et seules quelques installations dans le monde sont équipées de la technologie nécessaire.
L'installation n_TOF du CERN dispose de deux faisceaux de neutrons intenses, dont elle se sert généralement pour étudier les interactions entre les neutrons et les noyaux des atomes. Cependant, elle a également commencé depuis peu à tester la faisabilité d'utiliser l'un de ses faisceaux à des fins d'imagerie. Les premiers résultats sont encourageants : les clichés, réalisés sur des cibles qui ont été ou seront utilisées au Décélérateur d'antiprotons (AD), situé à proximité, pour produire des antiprotons (les antiparticules des protons), ont démontré que le faisceau permettait de visualiser la structure interne des échantillons.
L'imagerie neutronique consiste à enregistrer l'atténuation d'un faisceau de neutrons au moment où il traverse un échantillon. La qualité de l'image qui en résulte dépend de plusieurs facteurs, tels que l'énergie des neutrons lorsqu'ils atteignent l'échantillon ou la distance entre celui-ci et le collimateur qui focalise le faisceau. À l'aide d'une caméra d'imagerie neutronique disponible dans le commerce, les chercheurs de n_TOF ont monté auprès de leur expérience une installation d'imagerie neutronique, et ont analysé certains de ces facteurs. Ils ont ensuite entrepris de tester cette installation en observant cinq cibles servant à produire des antiprotons : deux cibles de l'AD, qui, pour créer des antiprotons, dirige sur une cible en métal dense un faisceau de protons intense issu du Synchrotron à protons, ainsi que trois autres cibles potentielles pour l'AD, qui ont auparavant été testées à l'installation HiRadMat.
L'une des deux cibles de l'AD était une pièce de remplacement et n'avait jamais servi, tandis que la seconde et les trois cibles d'HiRadMat avaient déjà été exposées à d'intenses faisceaux de protons, susceptibles de les endommager. Les clichés pris par n_TOF montrent la structure interne des cibles avec un bon niveau de contraste. Dans le cas des cibles déjà exposées à des faisceaux de protons, ils ont révélé des déformations, des distorsions ainsi que des fissures. L'équipe a pu confirmer les dommages observés sur deux des cibles en les ouvrant et, pour l'une d'entre elles, d'autres clichés capturés dans un centre d'imagerie neutronique de l'Institut Paul Scherrer sont venus corroborer ces résultats.
Cette expérience avait un double intérêt : elle a d'une part démontré qu'il était possible d'utiliser le faisceau de neutrons de n_TOF pour de l'imagerie, et elle a d'autre part fourni des images en deux dimensions de l'intérieur des cibles produisant des antiprotons, qui auraient été plus difficiles à obtenir par un autre moyen. Les techniques d'imagerie conventionnelles telles que la radiographie par rayons X ne peuvent pas pénétrer les métaux denses qui composent les cibles et ne permettent donc pas de constater leur état interne. Par ailleurs, si ces cibles devaient être modélisées dans des centres d'imagerie spécialisés en dehors du CERN, elles devraient d'abord être transportées et soumises à un processus d'inspection.
Pour que l'installation n_TOF dispose d'un véritable centre d'imagerie, il faudra notamment optimiser le système de collimation afin d'améliorer la résolution des images et ajouter des équipements permettant d'obtenir des clichés en trois dimensions plutôt qu'en deux.