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Hans Joachim Specht (1936 – 2024)

Hans Joachim Specht
(Image: Specht)

Hans Joachim Specht, l’un des fondateurs de la physique des ions lourds ultra-relativistes et pionnier de l’hadronthérapie, s’est éteint le 20 mai 2024 à l’âge de 87 ans. Diplômé de l’université de Munich et de l’École polytechnique fédérale de Zurich, titulaire d’une chaire à l’université d’Heidelberg pendant plus de 30 ans, il a apporté des contributions importantes dans plusieurs domaines scientifiques.

Hans a commencé sa carrière dans le domaine de la physique atomique et nucléaire, à Munich, sous la direction de Heinz Maier-Leibnitz. Il participe à la découverte et à la mesure précise de l’isomérie de forme de certains noyaux lourds. Son observation de bandes rotationnelles distinctes dans les noyaux de 240Pu montre, pour la première fois, que les noyaux peuvent subir juste avant la fission une forte déformation, « en cigare », confirmant l’idée d’une « double » barrière de fission. D’abord à Munich, puis à Heidelberg, il met au point plusieurs grands détecteurs innovants pour l’étude des fragments de fission et des produits de collision entre des ions lourds. Il devient ainsi l’un des principaux expérimentateurs dans le domaine émergent de la « physique des ions lourds », avec des expériences menées à l’Institut Max-Planck de physique nucléaire à Heidelberg et au GSI de Darmstadt, alors récemment fondé.

Au début des années 1980, Hans se tourne vers la recherche en physique des hautes énergies étudiée au CERN. Ses contributions et sa force de persuasion, appuyées par une poignée d’autres scientifiques enthousiastes, seront décisives dans la mise en place du programme d’ions lourds ultra-relativistes de l’accélérateur SPS au CERN, approuvé en 1984. D’abord porte-parole d’une expérience de première génération sur les ions lourds (Helios/NA34-2), il est ensuite l’initiateur et le porte-parole d’une expérience de seconde génération (CERES/NA45), puis un soutien majeur et un mentor pour l’expérience de troisième génération, ALICE, installée auprès du LHC.

Travaillant dans un premier temps sur CERES, l’expérience sur les dileptons, puis sur l’expérience NA60, dans laquelle il joue un rôle décisif, Hans parvient à détecter pour la première fois des paires de leptons produits thermiquement lors de collisions entre des ions lourds. L’étude de l’un des signaux les plus complexes, le spectre « de type Planck » du rayonnement thermique, pour les masses élevées, et la caractérisation précise de la modification dans le milieu du méson rho, pour les masses faibles, s’avèreront cruciales pour démontrer l’existence et les propriétés du plasma quarks-gluons, l’état de la matière interagissant fortement qui aurait existé dans l’Univers primordial, quelques microsecondes seulement après le Big Bang. Deux décennies se sont écoulées et la qualité et la pertinence de ces mesures restent inégalées.

En tant que directeur scientifique du GSI de 1992 à 1999, Hans a su donner des impulsions décisives dans le domaine de la recherche en physique nucléaire et en physique des particules. Il a ainsi défini les orientations techniques et scientifiques nécessaires au développement et à la mise en pratique d’une innovation révolutionnaire en radiothérapie  la thérapie par faisceau d’ions. Un projet pilote d’irradiation des tumeurs par des ions 12C, lancé à son initiative, permettra de traiter 450 patients et donnera naissance au Centre de thérapie par faisceau d’ions de Heidelberg (Heidelberger Ionenstrahl-Therapiezentrum – HIT), premier centre européen de thérapie par faisceau d’ions. De toutes ses réalisations, c’est l’amélioration de la qualité des soins grâce au progrès scientifique, par ses contributions à la thérapie par faisceau d’ions, qui le rendra le plus fier.

Hans s’intéressait également à l’intersection entre la physique, la musique et les neurosciences. Il a notamment collaboré avec Hans-Günter Dosch afin de comprendre la perception de la musique et ses bases physiologiques. Cette approche transdisciplinaire a donné lieu à des publications fréquemment citées sur les différences entre le cortex auditif des musiciens et des non-musiciens, repoussant les limites de notre compréhension du cerveau et de la réception de la musique par cet organe.

Enseignant remarquable, mentor inlassable, directeur scientifique accompli, Hans était avant tout un scientifique d’une curiosité insatiable. Animé d’un véritable amour pour la physique et d’un grand désir de comprendre, il aura poursuivi sans relâche ses recherches partout où elles l’auront mené.

Ses amis et collègues 

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Une nécrologie complète sera publiée (en anglais) dans le courant de l’année dans la revue CERN Courier.