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Le LEP et la courbe de résonance du Z0 : 30 ans déjà

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Eckhard Elsen is Director for Research and Computing

Il y a trente ans cette semaine, les quatre expériences auprès du collisionneur LEP du CERN publiaient le premier de leurs résultats bien connus : la courbe de résonance du Z0, qui nous apprenait qu'il existe trois, et seulement trois, familles de particules fondamentales. Pour la plupart d'entre nous, il est difficile d'imaginer une époque où l'on ne disposait pas du Modèle standard - ce qui n'est guère surprenant, puisque la théorie qui constitue le socle de la physique des particules a déjà atteint le demi-siècle.

Et pourtant, pour les personnes qui sont en âge de s'en souvenir, les années 1960 ont vu élaborer patiemment toute une base théorique, culminant avec l'émergence du Modèle standard dans les années 1970, et ouvrant la voie au projet ambitieux de construction au CERN d'un collisionneur électron-positon de 27 kilomètres de circonférence.

Le Grand collisionneur électron-positon (LEP) a commencé à fonctionner en 1989, et très rapidement, il est devenu clair que cette machine allait mettre à l'épreuve la théorie élaborée dans les décennies 1960 et 1970 ; c'est ainsi que, dans les années 1990, le Modèle standard a pu être fermement établi sur des bases expérimentales solides.

Malgré la taille et la complexité de la machine, le démarrage du LEP s'est produit avec une précision métronomique. Les premiers faisceaux commencèrent à circuler le 14 juillet, les premières collisions furent enregistrées le 13 août et, le 13 octobre, il y a donc 30 ans cette semaine, les premiers grands résultats du LEP étaient publiés ; ces résultats, sobrement dénommés « courbe de résonance du Z0 », ont changé notre vision de l'Univers.

Au moment du démarrage du LEP, le nombre de familles de particules était inconnu. La théorie nous disait qu'il devait y en avoir au moins trois, mais ne fixait aucune limite supérieure. Nous connaissions déjà trois de ces familles, dont il ne restait à découvrir que deux membres : le quark top et le neutrino tauique, qui seront observés au Fermilab, respectivement en 1995 et 2000. Y en avait-il d'autres ? Les expériences du LEP s'efforçaient de répondre à cette question en mesurant la production et la désintégration de bosons Z, les porteurs neutres de l'interaction faible.

Les bosons Z se désintègrent en paires de quarks ou de leptons, lesquels peuvent être mesurés par les détecteurs, à l'exception des neutrinos, très légers, qui échappent à la détection. Étant donné que chaque famille de particules compte parmi ses membres un neutrino, les prédictions concernant ce qui serait observé au LEP étaient différentes selon qu'on prenne pour hypothèse l'existence de deux, trois, quatre familles, ou plus. La courbe de résonance du Z0 est le pic de la distribution de particules produites dans des collisions qui survient au moment où l'énergie de collision balaye les valeurs correspondant à la production du boson Z. Plutôt qu'un pic étroit, c'est une bosse située autour de la masse de la particule Z0, dont le profil dépend de la résolution de l'expérience et, surtout, de la durée de vie du Z0 : plus cette particule dispose de canaux de désintégration, plus sa durée de vie est courte, et moins le pic sera pointu. C'est là une conséquence directe du fameux principe d'incertitude d'Heisenberg.

Dès octobre 1989, il apparaissait clairement que les données du LEP concordaient avec la prédiction annonçant trois familles de particules. Plus précisément, les expériences du LEP ont abouti à la conclusion que le nombre de neutrinos légers était de 2,9840, plus ou moins 0,0082. Il peut paraître très théorique d'énoncer ainsi le chiffre trois, mais cette grande précision est importante car elle entraîne d'importantes conséquences aujourd'hui encore. À l'époque du démarrage du LEP, les transitions entre quarks, appelées mélanges, étaient bien connues, mais le mélange de neutrinos n'était pas une notion acquise. Nous avons à présent une bien meilleure compréhension du mélange des neutrinos, mais la mesure réalisée au LEP reste une contrainte très importante sur la forme précise que prend le mélange.

Comme c'est souvent le cas, dès qu'on a répondu à une question, il en surgit une nouvelle. Nous savons maintenant qu'il y a trois familles, soit le minimum requis par la théorie, et pas plus, mais nous ne savons toujours pas pourquoi. Cette découverte a marqué une étape décisive dans la physique, et s'inscrit dans une longue tradition concernant la recherche sur le neutrino, qui s'est véritablement développée à partir de cette mesure. Aujourd'hui, trente ans après, alors que l'ancien tunnel du LEP est occupé par le LHC, et à l'heure où nous préparons avec nos partenaires aux États-Unis et au Japon une époque nouvelle et très riche dans le domaine de la physique du neutrino, il est temps de réfléchir à la signification de ces premiers jalons posés au LEP.

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