« Face à une machine de 27 km de longueur, dont les composants doivent être alignés avec une précision de quelques dixièmes de millimètres, tutoyant parfois les micromètres, les géomètres du CERN ne peuvent plus considérer la Terre comme plate, ni même sphérique : tous les détails de sa forme elliptique (géoïde) entrent dans l’équation ». C’est ainsi que Hélène Mainaud-Durand (BE-GM) décrit les enjeux relatifs à l’alignement des aimants et autres composants du projet HL-LHC. Des défis technologiques de taille, rencontrés une première fois pendant l’installation et l’exploitation du LHC, et que les contraintes liées au HL-LHC viennent accentuer. À ce titre, le nouveau système d’alignement à distance du HL-LHC (Full Remote Alignment System – FRAS), qui a passé avec succès un premier test cet été, sera un outil majeur pour relever les futurs défis d’un alignement en toute sécurité.
Le FRAS est un système d’alignement composé de près d'un millier de capteurs disposés le long des 200 mètres de nouveaux aimants installés de part et d’autre des détecteurs ATLAS et CMS. Les capteurs, couplés à leur électronique et leurs logiciels, combinés au système de vérins motorisés sur lesquels reposeront certains des composants, permettront d’ajuster en temps réel et à distance les positions relatives de ces derniers sans nécessiter d’intervention humaine en caverne, une exigence cruciale pour faire face à l’environnement irradié du HL-LHC. Si un système téléguidé similaire a déjà déployé sur 50 mètres d’aimants au cœur de l’accélérateur actuel, le FRAS, qui concernera une distance plus élevée, innove de plusieurs manières. En effet, la tolérance d’alignement reste la même qu’actuellement (+/- 0,15 mm) mais sur une distance beaucoup plus importante (200 m au lieu de 50 m précédemment).
Deux technologies d’alignement coexistent au sein du nouveau système. La première, une technologie capacitive classique dans le domaine de l’alignement, repose sur des mesures de la distance séparant plusieurs capteurs répartis le long des aimants et reliés par un fil de 220 mètres, intégré aux capteurs et aux composants du HL-LHC. Si ce système mobilise des technologies bien connues, il a dû être largement adapté pour répondre aux exigences propres au HL-LHC : en vue de les protéger des rayonnements, l’électronique des capteurs est en effet séparée de ces derniers par des câbles longs de 120 mètres, aux matériaux adaptés à l’environnement hostile – un défi technique majeur.
En parallèle, le système FRAS introduit une technologie novatrice se superposant à la première : l’interférométrie à balayage de fréquence (« frequency sweeping interferometry » – FSI). Cette solution repose sur la mesure de la distance entre l’extrémité d’une fibre optique (la tête de mesure) et plusieurs cibles, des billes en verre réfléchissantes spécialement développées pour ce dispositif. Ce système ingénieux, qui ne nécessite pas de câbles (seule une fibre optique est nécessaire), permettra non seulement de consolider les mesures réalisées grâce au premier système, mais aussi, pour la première fois, de déduire la position des masses froides à l’intérieur des cryostats des aimants.
« La technologie FSI est avant tout une solution maison, le fruit de huit années de recherche et développement menées de front par plusieurs groupes du département BE, avec le concours de nombreuses équipes à travers le Laboratoire. En nous basant sur une méthode déjà expérimentée au National Physical Laboratory du Royaume-Uni, nous avons été en mesure de concevoir une solution adaptée à nos besoins, et pour laquelle plusieurs laboratoires de physique ont déjà montré de l’intérêt. La maîtrise de cette technologie au CERN nous permet également d’avoir toutes les cartes en main lors de la phase d’industrialisation des capteurs qui s’ouvre désormais », explique Hélène Mainaud-Durand.
Après l’épreuve du feu sur un aimant prototype au cœur du laboratoire de métrologie cet été, le système FRAS sera testé une première fois sur les aimants HL-LHC au sein de la chaîne de test des triplets internes (IT-String) en 2024, avant l’installation finale en caverne au cours du troisième long arrêt technique (LS3), prévu pour 2027.
Cette animation (en anglais) montre comment fonctionnent les systèmes d’alignement du Grand collisionneur de hadrons (LHC) et les changements requis pour le LHC à haute luminosité (HL-LHC) (Video : CERN)