Quand le Grand collisionneur électron-positon (LEP), le prédécesseur du LHC, a été mis en service en 1989, les installations informatiques centrales reposaient presque totalement sur des ordinateurs centraux et des supercalculateurs. Ces ordinateurs étaient fiables mais très coûteux, aussi leur nombre était-il limité.
En raison de ces coûts élevés, le département Informatique du CERN (appelé alors « division CN ») et les physiciens du LEP ont commencé à utiliser des ordinateurs à jeu d'instructions réduit (RISC) et des serveurs fonctionnant sous UNIX. Ces ordinateurs étaient surtout destinés à un traitement interactif mais il s'est avéré qu'ils présentaient un bien meilleur rapport prix/performance quand on s'en servait pour le traitement par lots.
Le CERN, conscient des avantages présentés par les ordinateurs RISC, décida alors de voir si l'utilisation de PC pouvait elle aussi être bénéfique à l'Organisation et lança un projet de portage par lots et d'analyse comparative au sein de la collaboration RD47.
Les PC étaient déjà communément utilisés dans les bureaux et les foyers mais n'avaient pas encore été réellement envisagés pour ce travail « sérieux » de traitement de tâches informatiques par lots.
Heureusement pour le CERN, les processeurs Intel Pentium mis sur le marché en 1993 étaient bien meilleurs pour traiter les nombres à virgule flottante que les générations précédentes de processeurs, un aspect crucial pour les programmes de physique des hautes énergies.
Cependant, le portage par lots et l'analyse comparative se révélèrent assez difficiles en dépit de l'amélioration du matériel. Le CERN devait opérer un choix entre de nombreux systèmes d'exploitation et compilateurs, chaque environnement présentant des difficultés spécifiques.
À l'été 1995, les résultats étaient suffisamment encourageants pour pouvoir être présentés à la huitième Conférence internationale sur le calcul en physique des hautes énergies et physique nucléaire (CHEP-95), qui eut lieu à Rio de Janeiro du 18 au 22 septembre. L'article intitulé « PC as Physics Computer for LHC ? », reçut un bon accueil. Un argument décisif était avancé, à savoir que le rapport prix/performance se trouvait largement amélioré, comme dans le cas des serveurs RISC.
Après la conférence, les résultats furent présentés à plusieurs instituts de physique des hautes énergies, tels que FNAL, SLAC et DESY. Il restait cependant une correction à apporter. Le système d'exploitation choisi était Windows/NT car il prenait en charge des PC à double processeur, fournissant le meilleur rapport prix/performance, mais les physiciens préféraient de loin UNIX/Linux. Ce problème fut résolu un an plus tard quand Linux 2.0 ajouta la fonctionnalité de support multi-processeur symétrique. Les PC, grâce à cette combinaison matériel/logiciel, ont rapidement conquis les centres de calcul des instituts de physique des hautes énergies et, fait surprenant, n'ont quasiment pas vu leur statut remis en cause depuis. La physique des hautes énergies n'a certes pas été le moteur de cette évolution mais elle a tiré profit du fait que « tout le monde » a décidé, au fil du temps, d'adopter le PC.
Difficile de prévoir ce que les 25 années à venir nous réservent. Les PC, cependant, ne semblent pas sur le point de quitter le devant de la scène.
Sverre Jarp