Le boson de Higgs, découvert au Grand collisionneur de hadrons (LHC) en 2012, joue un rôle central dans le Modèle standard de la physique des particules : ce sont ses interactions qui confèrent une masse à des particules élémentaires telles que les quarks. L’interaction du boson de Higgs avec les quarks dits « de troisième génération », les plus lourds (les quarks top et bottom) a déjà été observée et s’est avérée conforme aux prédictions du Modèle standard. Mais l’étude des interactions du boson de Higgs avec les quarks dits « de deuxième génération », plus légers, tels que le quark charme (ou quark c), et les quarks « de première génération », encore plus légers, à savoir les quarks up et down, qui constituent les éléments de base des noyaux atomiques, reste un formidable défi. La question de savoir si le boson de Higgs donne ou non leur masse aux quarks qui constituent la matière ordinaire reste pour le moment sans réponse.
Pour étudier les interactions du boson de Higgs, les physiciens regardent comment la particule se désintègre en d’autres particules, et aussi comment elle est produite, avec d’autres particules, dans des collisions proton-proton à haute énergie au LHC. Lors d’un séminaire qui s’est tenu au CERN la semaine dernière, la collaboration CMS a présenté les résultats de la première recherche de la désintégration d’un boson de Higgs en une paire de quarks c dans des événements où le boson de Higgs est produit en même temps que deux quarks top. Exploitant de nouvelles techniques d’intelligence artificielle, cette étude a permis de fixer les limites les plus strictes à ce jour à l’interaction entre le boson de Higgs et le quark c.
La production d’un boson de Higgs associé à une paire de quarks top, ce boson de Higgs se désintégrant à son tour en paires de quarks, n’est pas seulement un processus rare au LHC ; c’est aussi un processus particulièrement difficile à distinguer d’événements d’apparence similaire survenant dans les collisions. En effet, les quarks produisent immédiatement des gerbes collimatées (ou « jets ») d’hadrons qui ne parcourent qu’une petite distance avant de se désintégrer. Il est donc particulièrement difficile de distinguer les jets issus de quarks c produits par la désintégration d’un boson de Higgs de jets issus d’autres types de quarks. Les méthodes d’identification usuelles, dites d’« étiquetage », ne permettent pas d’identifier de manière efficace les jets issus des quarks c. Il a donc fallu mettre au point des techniques plus performantes.
« Cette recherche a nécessité un changement de paradigme dans les techniques d’analyse, explique Sebastian Wuchterl, boursier de recherche au CERN. Les quarks c étant plus difficiles à étiqueter que les quarks bottom, nous nous sommes appuyés sur des techniques d’apprentissage automatique de pointe pour pouvoir dissocier le signal du bruit de fond. »
Les chercheurs de CMS ont eu recours à des modèles d’apprentissage automatique pour résoudre deux difficultés majeures. La première était l’identification des jets issus des quarks c, qui a été réalisée au moyen d’un type d’algorithme appelé réseau neuronal graphique. La deuxième était la méthode à utiliser pour dissocier les signaux des bosons de Higgs du bruit de fond, ce qui a été fait avec un réseau transformeur, c’est-à-dire le type d’apprentissage automatique utilisé par ChatGPT, mais avec un but différent : classer les événements plutôt que générer des dialogues. L’algorithme d’étiquetage des quarks c a été entraîné sur des centaines de millions de jets simulés pour lui permettre de reconnaître les jets recherchés avec une plus grande efficacité.
À l’aide des données collectées de 2016 à 2018, combinées aux résultats des recherches précédentes sur la désintégration du boson de Higgs en quarks c via d’autres processus, l’équipe de CMS a fixé les limites les plus strictes à ce jour à l’interaction entre le boson de Higgs et le quark c, faisant état d’une amélioration d’environ 35 % par rapport aux limites précédentes. Ce résultat contraint de façon significative les écarts potentiels par rapport aux prédictions du Modèle standard.
« Nos résultats constituent un jalon important, souligne Jan van der Linden, chercheur postdoctoral à l’université de Gand. Grâce aux données supplémentaires provenant des prochaines périodes d’exploitation du LHC et à des techniques d’analyse améliorées, nous pourrions avoir un aperçu direct de l’interaction du boson de Higgs avec les quarks c au LHC – chose qui paraissait impossible il y a quelques années. »
Au fur et à mesure de la poursuite de la collecte des données au LHC, les améliorations apportées à l’étiquetage des quarks c et à la classification des événements faisant intervenir un boson de Higgs pourraient permettre à CMS, et à ATLAS, l’autre expérience polyvalente auprès du LHC, de confirmer la désintégration du boson de Higgs en quarks c. Ce serait une avancée importante sur la voie d’une compréhension complète du rôle du boson de Higgs dans la génération de la masse de tous les quarks tout en constituant un test crucial pour le Modèle standard, vieux de 50 ans.