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ALICE cherche à résoudre le problème de l’interaction forte entre trois corps

Avec de nouvelles mesures de corrélations au sein de systèmes hadron–deutéron, la collaboration ALICE étudie, auprès du LHC, l’interaction forte dans les systèmes à trois corps

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Illustration de l’interaction forte au sein d’un système proton–deutéron produit par des collisions proton–proton au LHC. https://zenodo.org/records/13732468 (Image: ALICE/CERN)

Dans un article publié dernièrement dans la revue Physical Review X, la collaboration ALICE présente ses analyses des corrélations au sein des systèmes kaon–deutéron[1] et proton–deutéron, ouvrant la voie à une étude précise des forces à l’œuvre dans les systèmes nucléaires à trois corps.

Les interactions élémentaires étant généralement représentées comme mettant en jeu deux objets, généraliser leur étude à des systèmes plus complexes n’est pas toujours évident. La description de systèmes à trois hadrons interagissant fortement fournirait des clés de compréhension de nombreux objets d’étude de la physique nucléaire moderne, tels que la structure des noyaux atomiques, les propriétés de la matière nucléaire de haute densité et la composition du noyau des étoiles à neutrons.

Les collisions proton–proton effectuées au LHC produisent de nombreuses particules, émises très près les unes des autres, à des distances de l’ordre du femtomètre (10-15 m). Les scientifiques cherchent à savoir si elles s’influencent entre elles avant de fuser dans toutes les directions. Si deux particules sont produites très près l’une de l’autre, avec une direction et une impulsion similaires, la paire ainsi formée peut être sujette aux effets de la statistique quantique, de la force de Coulomb et de l’interaction forte. Si la paire est composée d’un deutéron et d’un autre hadron, tel un kaon ou un pion, le système comporte effectivement trois corps. La mesure des corrélations entre les deutérons et les kaons ou les protons formant le reste de la paire pourrait ainsi révéler le secret des interactions au sein des systèmes à trois corps.

La collaboration ALICE a mis à profit ses excellentes capacités d’identification des particules pour étudier ces corrélations dans le cadre de collisions proton–proton de haute multiplicité, à une énergie dans le centre de masse de 13 TeV. Son résultat se présente sous la forme d’une fonction de corrélation, qui rend compte de  la probabilité de trouver deux particules avec certaines impulsions relatives par rapport à ce qui se passerait dans l’hypothèse où leurs impulsions seraient parfaitement indépendantes, ou décorrélés. En l’absence de corrélation, ce rapport vaut 1, tandis qu’une valeur inférieure ou supérieure à 1 indique l’existence d’une interaction d’attraction ou de répulsion.

Les fonctions de corrélation des systèmes kaon–deutéron et proton–deutéron sont inférieures à 1 pour de faibles impulsions transversales relatives (voir le graphique ci-dessous), signe d’une interaction essentiellement répulsive. L’analyse des corrélations kaon–deutéron a montré que les distances relatives séparant les deutérons et les protons ou les kaons lors de leur production sont plutôt faibles, aux alentours de deux femtomètres.

Les corrélations kaon–deutéron sont correctement décrites par un modèle à deux corps qui tient compte à la fois de la force de Coulomb et de l’interaction forte entre le kaon et le deutéron. À l’inverse, cette approche ne considérant que deux corps échoue à décrire les corrélations proton–deutéron, pour lesquelles une modélisation complète du système à trois corps, tenant compte de la structure du deutéron, est nécessaire. Les prédictions théoriques tenant compte à la fois des interactions fortes entre deux corps et trois corps correspondent parfaitement aux données mesurées. Ce résultat démontre la sensibilité des fonctions de corrélation aux dynamiques à l’œuvre à courte portée  à l’échelle des systèmes à trois nucléons.

Les mesures de corrélations à de faibles distances constituent une méthode innovante d’analyse des systèmes à trois corps produits au LHC, qui pourrait être étendue à l’étude des autres hadrons. Une approche similaire est envisagée pour l’analyse des données de la troisième et de la quatrième période d’exploitation du LHC, afin d’examiner le comportement des systèmes à trois baryons dans les secteurs des quarks c et s, jusqu’ici impossibles à étudier expérimentalement.

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La fonction de corrélation mesurée en fonction de l’impulsion relative des systèmes kaon–deutéron (à gauche) correspond aux prédictions théoriques pour des systèmes à deux corps. La fonction de corrélation des systèmes proton–deutéron correspond quant à elles aux prédictions théoriques pour des systèmes à trois corps.(Image: ALICE/CERN)

 


[1] Le deutéron est le noyau atomique du deutérium ; il est constitué d’un neutron et d’un proton liés par l’interaction forte.