La découverte en 2012 du boson de Higgs par les collaborations ATLAS et CMS au CERN a apporté un nouvel éclairage sur les rouages les plus profonds de l'Univers. Elle a révélé l'existence d'un champ ancien et mystérieux avec lequel interagissent les particules élémentaires pour acquérir leur masse. Ce processus est régi par un mécanisme subtil appelé brisure de symétrie électrofaible, qui a été proposé pour la première fois en 1964, mais qui reste l'un des phénomènes les moins bien compris du Modèle standard de la physique des particules. Pour étudier ce mécanisme qui a joué un rôle essentiel dans l'évolution de l'Univers, les physiciens ont besoin d'un très grand nombre de données issues de collisions de particules de haute énergie.
La semaine dernière, lors des Rencontres de Moriond, la collaboration ATLAS a permis aux physiciens de franchir une étape supplémentaire dans la compréhension de la nature du mécanisme de brisure de symétrie électrofaible. Se basant sur l'ensemble des données de collisions proton-proton de la deuxième période d’exploitation du LHC, recueillies à une énergie de 13 TeV, de 2015 à 2018, l'équipe a présenté les premiers indices d'un processus essentiel faisant intervenir le boson W, l'un des vecteurs de la force faible.
Dans le Modèle standard de la physique des particules, les interactions électromagnétique et faible sont les deux faces d'un même phénomène, unifié sous le nom d'interaction électrofaible. On pense que l'interaction électrofaible a prévalu immédiatement après le Big Bang, lorsque l'Univers était extrêmement chaud. Cependant, la symétrie entre les deux interactions a été brisée d'une manière ou d'une autre, puisque l’on a observé que les vecteurs de l'interaction faible, à savoir les bosons W et Z, ont une masse, alors que le photon, vecteur de l'interaction électromagnétique, en est dépourvu. Dans le Modèle standard, la brisure de cette symétrie est assurée par le mécanisme de Brout-Englert-Higgs (BEH). La découverte du boson de Higgs a apporté la première confirmation expérimentale de ce mécanisme. Depuis, les physiciens s’attachent à mesurer les propriétés de la nouvelle particule, en particulier son interaction avec d'autres particules élémentaires. Ces mesures visent à confirmer que les masses des particules élémentaires sont également le résultat de leur interaction avec le champ BEH.
Mais du mécanisme BEH découlent aussi d’autres prédictions. Pour confirmer que le mécanisme est conforme aux prédictions du Modèle standard, il est nécessaire de mesurer deux processus en particulier : l'interaction entre les bosons W ou Z polarisés longitudinalement et l'interaction du boson de Higgs avec lui-même. S’agissant de l'interaction du boson de Higgs avec lui-même, les études ne devraient pas pouvoir commencer avant le LHC à haute luminosité, dont la mise en service est prévue pour 2030 ; et pour comprendre précisément le phénomène, un futur collisionneur sera nécessaire. En revanche, s’agissant des études sur la diffusion de bosons de jauge polarisés longitudinalement, il devrait être possible de commencer plus tôt de premières études.
La polarisation d’une particule correspond à la manière dont son spin est orienté dans l'espace. Le spin des particules polarisées longitudinalement est perpendiculaire à la direction de leur impulsion, ce qui n'est possible que pour les particules possédant une masse. L'existence de bosons W et Z polarisés longitudinalement (WL et ZL) est une conséquence directe du mécanisme BEH ; la manière dont ces états interagissent entre eux est donc un test très sensible de la manière dont la symétrie électrofaible est brisée. En étudiant cette interaction, les physiciens devraient pouvoir déterminer si la brisure de symétrie est réalisée par le biais du mécanisme BEH minimal ou si une nouvelle physique au-delà du Modèle standard est en jeu. Le nouveau résultat d'ATLAS donne un premier aperçu de ce processus insaisissable.
L’interaction WL-WL peut être sondée expérimentalement dans les collisions proton-proton par l’étude d’un processus appelé diffusion de bosons vecteurs, dans lequel deux quarks contenus respectivement dans chacun des deux protons d’une collision produisant deux bosons W, et ces deux bosons W, interagissant ensemble, produisent une paire de bosons W et Z. Ce processus peut être détecté en recherchant des collisions contenant les produits de désintégration des deux bosons ainsi que les deux quarks qui ont participé à l'interaction, soit deux jets de particules se déplaçant en sens opposés.
La nouvelle analyse d’ATLAS cible les collisions dans lesquelles les deux bosons W se désintègrent en un électron ou un muon et leurs neutrinos respectifs. Comme l’on cherche à atténuer le bruit de fond, qui provient principalement de processus faisant intervenir la production de paires de quarks top, les deux leptons doivent avoir la même charge électrique. La signature expérimentale est donc une paire de leptons de même charge (électron-électron, muon-muon ou électron-muon), deux « jets » de particules de sens opposés produits par la désintégration des quarks, et l'énergie manquante associée aux neutrinos indétectables.
Une fois sélectionnés les candidats au processus de diffusion de bosons vecteurs, la polarisation des bosons W doit être déterminée. Cette opération difficile exige une analyse approfondie des corrélations entre les directions des électrons et des muons dont les traces ont été reconstituées et les propriétés des autres particules produites lors de l’interaction. Des réseaux neuronaux ont été spécialement entraînés à distinguer la polarisation transversale de la polarisation longitudinale ; c’est ce qui a permis d'extraire le résultat final, à savoir le signal, détecté avec une signification statistique de 3,3 sigmas, d’une polarisation longitudinale d’au moins un des deux bosons W.
« Cette mesure est une étape importante dans l'étude d’un phénomène fondamental de physique via les interactions entre bosons polarisés dans les processus de diffusion de bosons vecteurs, explique Yusheng Wu, responsable du groupe d’ATLAS sur le Modèle standard. Il ouvre des perspectives pour une future étude de la diffusion de bosons polarisés longitudinalement sur la base des données qui auront été récoltées lors de la troisième période d’exploitation du LHC et lors de l’exploitation du HL-LHC. »
Pour en savoir plus, lire la note et le Cahier d’information sur la physique d’ATLAS.