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CMS découvre un excédent inattendu de quarks top

L’expérience CMS repère un curieux excédent de paires de quarks top, peut-être la première observation d'une particule composite aux propriétés uniques

toponium candidate event display

Représentation d'une collision montrant un excès de quarks top (image : collaboration CMS / CERN)

La collaboration CMS au CERN a observé dans les données produites par le Grand collisionneur de hadrons (LHC) un élément inattendu, qui pourrait indiquer l'existence de la plus petite particule composite observée à ce jour. Ce résultat, présenté lors des Rencontres de Moriond tenues dans les Alpes italiennes cette semaine, pourrait suggérer que les quarks top, les plus lourdes et les plus éphémères de toutes les particules élémentaires, peuvent s'apparier momentanément avec leurs homologues dans l’antimatière pour produire un objet appelé « toponium ». Ce n’est pas la seule explication possible, cependant. L’existence du toponium était jugée impossible à vérifier au LHC et le résultat devra être examiné de près par l’autre expérience polyvalente auprès du LHC, ATLAS.

Les collisions à haute énergie entre protons au LHC produisent habituellement des paires quark-antiquark top (appelées communément « tt-bar »). La mesure de la probabilité, ou section efficace, de la production de tt-bar constitue à la fois un test important du Modèle standard de la physique des particules et un moyen puissant de rechercher l'existence de nouvelles particules non décrites dans cette théorie vieille de 50 ans. Pour élucider beaucoup de questions irrésolues de la physique des particules, on s’efforce de rechercher de nouvelles particules, peut-être trop lourdes pour avoir été produites dans des expériences jusqu'à présent.

C’est à l’occasion de l’analyse d’un grand volume de données concernant la production de tt-bar collectées entre 2016 et 2018, visant à la recherche de nouvelles particules du type Higgs, que les équipes de CMS ont repéré quelque chose d'inhabituel. De nombreuses extensions du Modèle standard postulent l’existence d’autres particules du type Higgs. Si elles existent, ces particules devraient interagir surtout avec le quark top, particulièrement massif (184 fois la masse du proton). Et si elles sont suffisamment massives pour se désintégrer en une paire quark-antiquark top, le processus devrait être dominant dans leurs modes de désintégration à l'intérieur des détecteurs, et l’on devrait voir les deux quarks massifs produire des « jets » de particules.

L'observation d'un nombre plus élevé que prévu de paires top-antitop est donc souvent considérée comme une preuve irréfutable de l’existence d’autres bosons du type Higgs. Or, les données de CMS montrent justement un tel excédent. Étonnamment, toutefois, la collaboration a observé l’excédent de paires de quarks top à l’énergie minimale requise pour produire une paire de quarks top. C’est pourquoi une autre hypothèse a été envisagée, faisant intervenir un processus longtemps considéré comme difficile à détecter : l'union de courte durée d'un quark top et d'un antiquark top, appelée « toponium ».

 Bien que les paires tt-bar ne forment pas d'états liés stables, les calculs de la chromodynamique quantique, théorie qui décrit comment la force nucléaire forte lie les quarks en hadrons, prédisent, au seuil de production des tt-bar, un renforcement des états liés. Alors même que d’autres explications sont possibles, y compris l’existence d’un boson élémentaire du type figurant dans les modèles comportant d’autres bosons de Higgs, la section efficace obtenue par CMS pour une hypothèse simplifiée de production de toponium est de 8,8 picobarns, avec une incertitude d’environ 15 %. Le résultat atteint une signification statistique de 5 sigmas, seuil requis pour la revendication d’une observation en physique des particules, ce qui veut dire qu’il est extrêmement peu probable que l’excédent résulte d’une simple fluctuation statistique. 

Si ce résultat était confirmé, le toponium serait le dernier exemplaire manquant dans la catégorie des quarkoniums. Le mot « quarkonium » désigne des états instables quark-antiquark, résultant d’appariements de quarks lourds, à savoir, charme, bottom et peut-être top. Le charmonium (charme-anticharme) a été découvert simultanément au Laboratoire national Stanford (Californie) et au Laboratoire national Brookhaven (New York) au cours de la fameuse « Révolution de novembre » de la physique des particules en 1974. Le bottomonium (bottom-antibottom) a été découvert au Laboratoire national Fermi, dans l’Illinois, en 1977. Le charmonium et le bottomonium mesurent environ 0,6 et 0,4 femtomètre respectivement, un femtomètre correspondant à un millionième de nanomètre. Le bottomonium est considéré comme le plus petit hadron découvert à ce jour. Étant donné sa masse importante, le toponium devrait être beaucoup plus petit, ce qui en ferait le plus petit des hadrons connus.

Pendant longtemps, on a estimé que les états liés toponium ne pourraient vraisemblablement pas être détectés dans des collisions hadron-hadron. Le quark top se décompose en un quark bottom et un boson W en un temps qui correspond au temps nécessaire à la lumière pour parcourir 0,1 femtomètre, soit une fraction de la taille de la particule elle-même. Le toponium serait donc un cas unique parmi les quarkoniums, puisque sa désintégration serait déclenchée par la désintégration spontanée de l'un de ses quarks constitutifs plutôt que par l'annihilation mutuelle de ses composants de matière et d'antimatière.

CMS et ATLAS travaillent désormais en étroite collaboration pour étudier cet effet. Le mystère est loin d’être résolu.

Pour en savoir plus, lire l’article (en anglais) du CERN Courier ou consulter le site web de CMS.