Avec la mue des accélérateurs de particules vers la haute luminosité, le besoin d’une précision extrême et d’une énergie de collision accrue se fait toujours plus sentir. Le Laboratoire cherchant à réduire sa consommation d’énergie et ses coûts de fonctionnement, la conception et l’exploitation des accélérateurs du CERN doivent être peaufinées sans cesse pour être les plus efficientes possible. Le projet « Accélérateurs de particules efficients » (EPA) a été mis sur pied dans ce but précis. Il regroupe des personnes de différents groupes du CERN (accélérateurs, équipements et systèmes de contrôle), qui travaillent de concert pour rendre les accélérateurs plus efficients.
Un groupe de réflexion a été formé en 2022 à la suite d’un atelier. Chargé de prévoir des améliorations en vue du LHC à haute luminosité (HL-LHC), le groupe a formulé sept recommandations concernant l’efficience, qui forment les bases du projet EPA. « Nous avons tenté d’envisager l’efficience dans sa définition la plus large possible, explique Alex Huschauer, ingénieur responsable du Synchrotron à protons (PS) et membre du projet EPA. Nous souhaitions définir un cadre applicable à chacune des machines du complexe d’accélérateurs. » Pour atteindre cet objectif, l’équipe a défini neuf lots de travaux consacrés à l’efficience qui seront mis en œuvre dans les années précédant le début de l’exploitation à haute luminosité. « Nos discussions au sein du groupe de réflexion nous ont conduits à miser sur l’automatisation, explique Verena Kain, responsable du projet EPA. Nous parlons ici de recourir à l’automatisation au sens classique du terme, mais également d’utiliser l’IA et l’apprentissage automatique. »
L’IA pourrait notamment aider les scientifiques à lutter contre l’hystérèse des aimants d’accélérateurs. Lorsque ce phénomène se produit, le champ magnétique causé par les aimants, composés de fer, ne dépend plus seulement de l’intensité électrique qui leur est délivrée. Si l’hystérèse n’est pas prise en compte, la fluctuation des champs magnétiques dans l’accélérateur affecte la qualité du faisceau, réduisant sa stabilité et la précision de sa trajectoire. En résulte également une perte d’énergie. Actuellement, ces variations de champ font l’objet de corrections manuelles, coûteuses à la fois en temps et en énergie. « L’hystérèse a lieu lorsqu’un champ magnétique n’est pas seulement fonction de l’intensité du courant qui l’alimente, mais également des états antérieurs de l’aimant, précise Verena Kain*. La difficulté réside dans l’impossibilité de modéliser ce phénomène de manière analytique. Nous ne savons pas déterminer l’intensité exacte requise pour créer le champ adapté au faisceau. Du moins, pas avec une précision suffisante. L’IA, quant à elle, peut engranger les données relatives aux états antérieurs de l’aimant et s’en servir pour élaborer un modèle précis. » L’équipe, qui a mené une première série de tests sur les aimants du SPS, souhaite dans les années à venir entraîner son modèle d’IA sur l’ensemble des aimants d’accélérateurs du complexe du CERN.
Si les expériences auprès du complexe d’accélérateurs du CERN utilisent déjà l’automatisation, l’IA et l’apprentissage automatique pour l’acquisition de données, le contrôle des faisceaux et des accélérateurs se fait toujours principalement par des opérations manuelles. « La plupart des machines à basse énergie, le PS par exemple, ont été construites à une époque où les niveaux d’automatisation que nous connaissons aujourd’hui n’était même pas envisageables », poursuit Verena Klain. L’automatisation pourrait également révolutionner la planification des opérations. « Les différents faisceaux du complexe d’accélérateurs étant produits l’un après l’autre, l’extraction d’un faisceau d’une machine et son injection dans la suivante doivent être parfaitement orchestrées pour avoir lieu au bon moment, explique-t-elle. Il arrive que le programme subisse 20 à 40 modifications par jour, chacune pouvant prendre jusqu’à cinq minutes. Effectuée manuellement, cette tâche représente la majeure partie du travail du centre de contrôle. » L’automatisation de ce processus permettra aux opérateurs du centre de contrôle de se concentrer sur les faisceaux plutôt que sur des questions de planification.
Le projet EPA porte également sur l’automatisation du remplissage du LHC, l’autopilotage de la machine, l’automatisation des corrections et de la prévention des dysfonctionnements, l’automatisation des procédures de test et de séquençage, et l’automatisation du contrôle et de l’optimisation des paramètres. L’équipe espère poursuivre ses travaux pendant les cinq années à venir, et profiter de la troisième période d’exploitation du LHC ainsi que du troisième long arrêt pour mener ses tests. « Le projet EPA permettra, pour la première fois, d’appliquer à grande échelle l’IA et l’automatisation aux accélérateurs, ajoute Alex Huschauer. Améliorer la qualité des faisceaux permettra non seulement d’obtenir de meilleures données de physique, mais également d’utiliser moins longtemps le complexe d’accélérateurs, ce qui réduira la consommation d’énergie globale du Laboratoire. »
* Même si l’opération peut poser quelques difficultés lors du réglage des aimants, les ingénieurs responsables des accélérateurs du CERN utilisent cette mémoire magnétique afin d’entraîner les aimants avant les périodes d’exploitation pour leur permettre de supporter des intensités importantes. Pour en savoir plus, rendez-vous ici.