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ALICE et le charme caché du plasma quarks-gluons

La collaboration ALICE a montré que les différents états liés d'un quark charmé et de son équivalent dans l'antimatière sont affectés différemment par le plasma de quarks et de gluons

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Shows a lead–lead collision event

Une collision plomb-plomb enregistrée par ALICE en 2015. (Image : Collaboration ALICE)

Le plasma quarks-gluons correspond à un état extrêmement chaud et dense de la matière, dans lequel les constituants élémentaires de celle-ci (les quarks et les gluons) ne sont pas confinés à l'intérieur de particules composites appelées hadrons (les protons et les neutrons qui forment le noyau des atomes sont des hadrons). Cette phase spéciale de la matière, qui aurait existé dans l'Univers primordial, peut être recréée au sein du Grand collisionneur de hadrons (LHC) au moyen de collisions de noyaux de plomb.

Une nouvelle analyse de la collaboration internationale ALICE, l'une des expériences du LHC, s'intéresse à la façon dont les différents états liés d'un quark charmé et de son équivalent dans l'antimatière, également produits lors des collisions, réagissent au plasma quarks-gluons. Les résultats ouvrent la voie à de nouvelles études sur l'interaction forte – l'une des quatre forces fondamentales dans la nature – dans les conditions de température et de densité extrêmes du plasma quarks-gluons.

Les états liés constitués d’un quark et d’un antiquark charmés, appelés charmoniums, ou particules à charme caché, sont maintenus ensemble par l'interaction forte et sont un excellent moyen d’étudier le plasma quarks-gluons. Dans le plasma, la production de ces états est atténuée en raison du nombre élevé de quarks et de gluons présents, qui produit un effet de « blindage ». Cet effet augmente avec la température du plasma (voir l'illustration ci-dessous) et devrait affecter les différents charmoniums dans des mesures variées. Par exemple, la production de l’état ψ(2S) devrait être plus atténuée que la production de l'état J/ψ, dix fois plus faiblement lié et 20 % plus massif que l’état J/ψ.

Cependant, cette atténuation hiérarchisée n'est pas le seul sort que le plasma quark-gluons réserve aux charmoniums. En raison du grand nombre de quarks et d'antiquarks charmés dans le plasma (près d'une centaine lors des collisions frontales), il se produit un mécanisme nommé recombinaison, aboutissant à la formation de nouveaux charmoniums, qui neutralise, dans une certaine mesure, l’effet d’atténuation (voir illustration). Ce processus devrait dépendre du type de charmonium et de son impulsion : les charmoniums les plus faiblement liés pourraient être produits par recombinaison à une étape ultérieure de l’évolution du plasma, et les charmoniums ayant la plus faible impulsion (transversale) devraient présenter le plus haut taux de recombinaison.

De précédentes études, s'appuyant sur des données du Supersynchrotron à protons du CERN, puis du LHC, avaient démontré que la production de l'état ψ(2S) est effectivement plus atténuée que celle du J/ψ. Par ailleurs, ALICE avait également trouvé des indices du mécanisme de recombinaison dans la production du J/ψ. Néanmoins, jusqu'à maintenant, aucune étude de la production à faible impulsion du ψ(2S) n'a été assez précise pour fournir des résultats concluants dans ce régime d’impulsion. Aucune image complète de la production de l'état ψ(2S) n'a donc pu être obtenue.

La collaboration ALICE vient de publier les premières mesures de la production du ψ(2S) sur une gamme d’impulsions transversales allant jusqu'à zéro, à partir des données de collisions plomb-plomb recueillies par le LHC entre 2015 et 2018.

Les mesures révèlent que, quelle que soit l’impulsion, l'état ψ(2S) est deux fois plus atténué que le J/ψ. C'est la première fois qu'une hiérarchie claire dans l’atténuation a été observée pour la production totale de charmoniums au sein du LHC. Une observation similaire avait déjà été rapportée par les collaborations du LHC, concernant les états liés d'un quark bottom et de son antiquark.

Selon d'autres études s’intéressant à cet effet en fonction de l'impulsion de la particule, l’atténuation de la production de ψ(2S) décroît avec l’impulsion. Cette caractéristique, précédemment observée par ALICE pour l'état J/ψ, est une signature du processus de recombinaison.

Des études plus précises de ces charmoniums et d'autres états charmoniums, s'appuyant sur les données de la troisième période d'exploitation du LHC commencée en juillet 2022, permettront d'avoir une meilleure compréhension des modifications subies par les particules à charme caché, et, par conséquent, de l'interaction forte qui maintient les particules ensemble dans les conditions extrêmes du plasma quarks-gluons.

 

Illustration of the effect of quark–gluon plasma on the formation of charmonia in lead-nuclei collisions.
Légende de la figure 2 : Illustration de l'influence du plasma quarks-gluons sur la formation des charmoniums lors des collisions de noyaux de plomb. Lorsque la température du plasma augmente, l'état plus faiblement lié ψ(2S) est plus susceptible d'être « blindé » et donc de ne pas se former, en raison du grand nombre de quarks et de gluons présents (représentés par les cercles colorés). L'augmentation du nombre de quarks et d'antiquarks charmés (c et ) peut conduire à la formation de charmoniums supplémentaires par recombinaison de quarks. (Image : Collaboration ALICE)