Début septembre, près de 700 physiciens du monde entier étaient réunis à Houston, au Texas, à l'occasion de la 30e édition de la conférence Quark Matter, la plus grande conférence de physique des ions lourds. Lors de cette rencontre, la collaboration ALICE a présenté ses premiers résultats obtenus à partir des données collectées avec son détecteur amélioré en 2022, première année de la troisième période d'exploitation du LHC. Avant le lancement de la troisième période d'exploitation, les équipements d'ALICE ont fait l'objet d'améliorations majeures afin que l'expérience puisse enregistrer de 50 à 100 fois plus de collisions plomb-plomb, et jusqu'à 500 fois plus de collisions protons-protons que lors des précédentes périodes d'exploitation. En outre, les mises à niveau des trajectrographes ont amélioré d'un facteur de 3 à 6 la résolution de pointage. Tout cela devrait permettre d'obtenir un grand nombre de nouveaux résultats de haute précision dans les années à venir.
La mesure de la production de deux états différents de charmoniums dans les collisions proton-proton est l'un des nouveaux résultats présentés lors de la conférence Quark Matter. Les charmoniums sont des particules constituées d'un quark c et d'un antiquark c, d’une masse totale d'environ 3 GeV, soit plus de trois fois celle du proton. Quand il se désintègrent, les charmoniums ont une signature caractéristique, à savoir la production d'une paire électron-positon ou d'un muon positif et d'un muon négatif.
Il existe différents états du charmonium, avec des énergies de liaison différentes, depuis l'état J/ψ étroitement lié (énergie de liaison d'environ 650 MeV) jusqu'à l'état ψ(2S) faiblement lié – et deux fois plus grand – (énergie de liaison de 50 MeV). Dans les collisions d'ions lourds, ces états se fondent dans le plasma de quarks et de gluons et un nombre réduit d'entre eux est observé dans l'état final, un phénomène connu sous le nom d’effacement du charme. On peut déterminer la température du plasma en mesurant la façon dont les différents états sont effacés. Ces mesures ont joué un rôle important au fil des ans, depuis les premières mesures effectuées au SPS dans les années 1990.
Pour mesurer l’effacement du charmonium, il faut tout d’abord connaître les taux de production, et donc mesurer la production de quarkoniums dans les collisions proton-proton, où il n'y a aucun effacement. On obtient ainsi une référence pour les mesures effectuées dans les collisions Pb-Pb.
Le détecteur ALICE amélioré a une large couverture cinématique qui lui permet d'étudier J/ψ et ψ(2S) sur une gamme d’impulsions transversales allant jusqu'à zéro dans deux régions différentes et complémentaires. Dans la région centrale, le charmonium est reconstruit à partir de sa désintégration en une paire e+e- dans les détecteurs du tonneau central, tandis que, dans la région des petits angles, il est détecté dans son canal de désintégration m+m-, dans le spectromètre à muons.
Les statistiques proton-proton recueillies lors des première et deuxième périodes d'exploitation du LHC ont permis à ALICE d'étudier les rendements de ψ(2S) dans la région des petits angles, mais pas dans la région centrale. Dans les données de 2022, le nombre total de collisions est augmenté d'un facteur 300, ce qui permet de mesurer pour la première fois le taux de production de ψ(2S) dans la région centrale. Les résultats, obtenus à partir de 500 milliards de collisions proton-proton à biais minimum, montrent qu'il est possible d'accéder aux états excités et fondamentaux du charmonium dans toute la région cinématique d'ALICE, ce qui apportera des limites aux modèles de production du quarkonium et ouvrira la voie à des mesures plus détaillées lors de la prochaine campagne d’ions lourds.