L'installation de physique nucléaire du CERN, ISOLDE,a ajouté une nouvelle pièce à la collection d'isotopes qu'elle a produits : pour la première fois, l'installation a développé des isotopes du chrome riches en neutrons, qui plus est dans des quantités impressionnantes. Ces isotopes ont été mesurés par la « balance de précision » ISOLTRAP, dispositif qui réalise des mesures de masse depuis 30 ans auprès d'ISOLDE. Les nouvelles valeurs obtenues pour leur masse, qui ont fait l'objet d'un article dans la revue Physical Review Letters, sont jusqu'à 300 fois plus précises que les valeurs précédentes, ce qui jette une lumière nouvelle sur la structure nucléaire des isotopes du chrome.
Grâce au fait que la masse des atomes est moins importante que la somme des masses des protons, des neutrons et des électrons qui les constituent, nous sommes en mesure de connaître leur énergie de liaison nucléaire, c’est-à-dire l’énergie minimalequi serait requise pour désassembler le noyau d'un atome. L'énergie de liaison nucléaire donne donc, à son tour, des informations sur la structure nucléaire d'un atome. Certaines configurations de protons et de neutrons sont liées plus étroitement que d'autres, ce qui révèle un « nombre magique » de protons et de neutrons, ceux-ci formant alors des couches pleines à l'intérieur du noyau. L'un des objectifs principaux de la physique nucléaire moderne est de produire des systèmes situés aux limites de la stabilité nucléaire afin de vérifier si la théorie de laquelle découlent ces nombres magiques reste toujours valable (voir l’article paru dans le CERN Courier, en anglais uniquement), ce qui met à rude épreuve les modèles théoriques sur la structure des noyaux.
Le chrome (Cr) possède 24 protons, ce qui signifie qu'il se situe à mi-chemin entre le calcium magique (qui compte 20 protons) et le nickel magique (qui compte 28 protons). Ses isotopes comprenant un grand nombre de neutrons, c'est-à-dire ceux se rapprochant du 63Cr, sont particulièrement intéressants pour étudier la structure nucléaire. En effet, ces isotopes sont situés à mi-chemin entre les nombres magiques de 28 et de 50 neutrons, autrement dit un niveau auquel plusieurs modèles prévoient différentes altérations de la forme des noyaux, et, pour certains, un nouveau nombre magique de 40 neutrons.
Pour cette nouvelle étude, les chercheurs d'ISOLDE ont utilisé une source d'ions opérant une sélection chimique, appelée RILIS, pour fournir à la station de mesure de la masse ISOLTRAP des faisceaux d'isotopes de chrome riches en neutrons, en allant jusqu'à l'isotope 63Cr, dont la demi-vie n'est que de 130 millisecondes.
Dans les noyaux « magiques », la présence de couches pleines privilégie des formes nucléaires sphériques. Les noyaux des isotopes du chrome pesés par ISOLTRAP sont, au contraire, déformés. Cependant, contrairement aux résultats précédents, les mesures d'ISOLTRAP montrent que cette déformation a lieu graduellement, avec l'ajout de chaque neutron supplémentaire. La comparaison entre les mesures d'ISOLDE et les modèles améliorés qui décrivent les noyaux ayant des couches non pleines devrait nous en apprendre davantage sur la structure nucléaire des isotopes du chrome.