Le Big Bang aurait créé autant de matière que d'antimatière. Or l'Univers actuel est presque entièrement constitué de matière : quelque chose a donc dû provoquer ce déséquilibre.
Il est admis que la force faible du Modèle standard de la physique des particules est à l'origine d'une différence de comportement entre la matière et l'antimatière (ce que l’on appelle la violation de la symétrie CP) dans les désintégrations de particules contenant des quarks, qui font partie des constituants de la matière. Cependant, ces différences, ou asymétries, sont difficiles à mesurer et ne suffisent pas à expliquer le déséquilibre matière-antimatière dans l'Univers actuel. C’est pourquoi les physiciens s’efforcent aussi bien de mesurer avec précision les différences connues que de rechercher des différences inédites.
Lors d'un séminaire qui s’est tenu aujourd'hui au CERN, la collaboration LHCb a annoncé avoir mesuré, avec une précision inégalée, deux paramètres essentiels déterminant ces asymétries matière-antimatière.
En 1964, James Cronin et Val Fitch avaient découvert la violation de la symétrie CP grâce à leur expérience pionnière, menée au Laboratoire national de Brookhaven aux États-Unis, sur la désintégration de particules contenant des quarks étranges. Cette découverte remettait en question la notion bien établie de symétrie de la nature et elle a valu à Cronin et Fitch le prix Nobel de physique en 1980.
En 2001, l'expérience BaBar aux États-Unis et l'expérience Belle au Japon ont confirmé l'existence d’une violation de CP dans les désintégrations de mésons beauté (des particules comportant un quark beauté), ce qui a permis de mieux comprendre ce phénomène. Ce résultat a été à l’origine d’un intense effort de recherche dont l’objectif était de mieux cerner les mécanismes à l'origine de la violation de CP. En 2008, Makoto Kobayashi et Toshihide Maskawa reçurent le prix Nobel de physique pour l'élaboration d'un cadre théorique expliquant avec élégance les phénomènes de violation de CP observés.
Dans ses toutes dernières études, s'appuyant sur l'ensemble des données enregistrées par le détecteur LHCb lors de la deuxième période d'exploitation du Grand collisionneur de hadrons (LHC), la collaboration LHCb a cherché à mesurer avec une grande précision deux paramètres déterminant l'ampleur de la violation de CP dans les désintégrations de mésons beauté.
Le premier paramètre détermine l'ampleur de la violation de CP dans les désintégrations de mésons beauté neutres, constitués d'un antiquark bottom et d'un quark down. Il s'agit du même paramètre que celui qui avait été mesuré par les expériences BaBar et Belle en 2001. Le deuxième paramètre détermine l'ampleur de la violation de CP dans les désintégrations de mésons beauté étranges, constitués d'un antiquark bottom et d'un quark étrange.
Plus précisément, ces paramètres déterminent l'ampleur de la violation de CP variant en fonction du temps. Ce type de violation de CP découle des mystérieuses interférences quantiques qui se produisent lorsqu'une particule et son antiparticule se désintègrent. La particule a la capacité de se transformer spontanément en son antiparticule et vice versa. Au cours de cette oscillation, les désintégrations de la particule et de l'antiparticule interfèrent l'une avec l'autre, ce qui conduit à un modèle distinctif de violation de CP qui évolue dans le temps. En d'autres termes, l'ampleur de la violation de CP observée dépend de la durée de vie de la particule avant sa désintégration. Ce phénomène fascinant donne des informations essentielles sur la nature fondamentale des particules et de leurs symétries.
Pour les deux paramètres, les nouveaux résultats de LHCb, qui sont les plus précis jamais obtenus dans ce domaine par une seule expérience, sont conformes aux prédictions du Modèle standard.
« Ces mesures sont interprétées dans le cadre de notre théorie fondamentale de la physique des particules, le Modèle standard ; elles améliorent la précision avec laquelle nous pouvons déterminer la différence entre le comportement de la matière et celui de l'antimatière, explique Chris Parkes, porte-parole de LHCb. Grâce à des mesures toujours plus précises, notre connaissance de ces phénomènes s'est grandement améliorée. Ce sont des paramètres essentiels qui nous aident à rechercher des effets inconnus au-delà de notre théorie actuelle. »
Les données que nous apporteront la troisième période d'exploitation du LHC et le LHC à haute luminosité permettront d'affiner encore la précision de ces paramètres d'asymétrie matière-antimatière et peut-être de mettre en évidence de nouveaux phénomènes de physique, qui pourraient nous aider à faire la lumière sur l'un des secrets les mieux gardés de l'Univers.
En savoir plus sur le site de la collaboration LHCb, ici et là.