La semaine dernière, à l’occasion de la conférence biennale ICHEP, l’expérience AMBER a présenté les résultats de sa première période d’acquisition de données. Ces résultats, collectés en 2023, incluent des graphiques préliminaires de la section efficace de la production d’antiprotons, c’est-à-dire de la probabilité que des antiprotons soient produits lorsqu’un faisceau de protons interagit avec une cible en hélium. Ces nouvelles connaissances sur la production d’antiprotons permettront d’étudier la matière noire avec une sensibilité plus élevée.
Si les scientifiques peuvent constater l’effet de la matière noire sur le reste de l’Univers, cette dernière ne peut pas être observée directement puisqu’elle ne subit pas la force électromagnétique. La physique reste donc incapable de décrire cette matière, qui représente pourtant environ un quart de la masse totale de l’Univers. Les expériences menées depuis l’espace, telle AMS, cherchent des indices sur la matière noire à partir de données récoltées sur des rayons cosmiques, des particules de haute énergie qui viennent heurter l’atmosphère terrestre depuis l’espace. AMS étudie notamment les antiprotons des rayons cosmiques. Ces derniers ne sont pas issus des rayons cosmiques primaires (tels qu’ils sont émis par les étoiles et divers autres phénomènes astrophysiques) mais sont produits lorsque les rayons cosmiques traversent le milieu interstellaire. AMS a récemment mis en évidence un écart entre la quantité d’antiprotons observés dans les rayons cosmiques et la quantité prédite, plus faible. Ces antiprotons surnuméraires pourraient relever de l’anomalie statistique, mais également provenir d’une source inconnue, par exemple la matière noire. Ces observations ont conduit les scientifiques à penser que la matière noire pourrait produire des antiprotons.
C’est là qu'intervient AMBER. « Si vous observez une source habituelle d’antiprotons et que vous souhaitez la distinguer d’une potentielle autre source, inhabituelle, vous devez connaître parfaitement les caractéristiques de la source standard, explique Davide Giordano, chercheur à l’expérience AMBER. Étudier la production standard d’antiprotons permet de réduire l’incertitude autour de la quantité d’antiprotons que l’on doit s’attendre à trouver dans l’espace. Nous pourrons ainsi détecter avec plus de précision une éventuelle source inhabituelle. »
Située sur les vestiges de l’expérience COMPASS, AMBER est une nouvelle installation utilisant un faisceau secondaire issu du SPS qu’elle projette sur une cible fixe interchangeable placée dans la zone Nord du CERN. La première phase de son programme de physique comportera trois expériences : l’étude de la section efficace de la production d’antimatière, la mesure du rayon du proton et l’utilisation de processus de physique dans le but de comprendre comment les hadrons acquièrent leur masse. Les données de l’année dernière ont été collectées sur une cible d’hélium liquide. Les traces des particules produites ont été enregistrées par un spectromètre. « Dans l’espace, l’une des collisions les plus souvent à l’origine d’antiprotons est celle entre des protons et des noyaux d’hélium, poursuit Davide Giordano. Avant AMBER, nous ne disposions d’aucune donnée d’expérience concernant cette collision dans la gamme d’énergie étudiée par AMS. »
S’ils en sont encore au stade préliminaire, les résultats présentés à l’ICHEP ont montré le bon fonctionnement d’AMBER, qui peut se targuer d’une très faible incertitude statistique. « Nous avons déjà commencé à collecter des données en 2024, cette fois-ci sur des cibles d’hydrogène et de deutérium », se félicite Davide Giordano. L’expérience AMBER espère que les données collectées sur l’hydrogène permettront d’étudier les collisions proton-proton, qui sont à l’origine de la majorité des productions d’antiprotons dans l’espace. Les données collectées sur le deutérium permettront quant à elles aux scientifiques de comparer le taux de production d’antiprotons dans les collisions proton-proton avec celui enregistré dans les collisions proton-neutron, ce afin d’en apprendre davantage sur l’asymétrie matière-antimatière, encore mal connue.
AMBER vient s’ajouter aux nombreuses expériences qui appuient AMS dans sa collecte de données sur les rayons cosmiques. On trouvera dans cet article des précisions sur les résultats de la collaboration LHCb concernant les antiprotons produits lors de collisions proton-hélium en 2017. Voir également ce communiqué de presse sur une étude similaire par la collaboration ALICE des noyaux d’antihélium-3 produits par les rayons cosmiques.