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Le CERN encore plus à l'heure, grâce à une liaison optique

Une liaison par fibre optique entre le CERN et Paris améliorera la précision des mesures pour des expériences sur l'antimatière comme ALPHA

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ALPHA,Experiments and Collaborations
Une liaison par fibre optique avec l'expérience ALPHA à l'Usine d'antimatière du CERN contribuera à la précision des mesures des propriétés de l'antihydrogène. (Image : CERN)

D'après le Modèle standard de la physique des particules, si l'on échange une particule de matière contre sa version en antimatière (en changeant le signe de sa charge), que l'on inverse ses coordonnées spatiales comme dans un miroir (parité) et que l'on inverse le sens du temps, il ne devrait y avoir aucune différence dans le comportement des deux particules. En raison du rôle central de la symétrie fondamentale dans la théorie quantique des champs, la découverte d'une violation, même minime, de ce principe, connu sous le nom de symétrie charge-parité-temps (CPT), supposerait que notre compréhension est incomplète et tendrait à indiquer l'existence d'une nouvelle physique au-delà du Modèle standard.

Les expériences menées à l'usine d'antimatière (AD) du CERN ont pour objet de tester des principes fondamentaux tels que la symétrie CPT par l'étude des propriétés et le comportement de l'antimatière, comparés à ceux de la matière ordinaire. Pour cela, l'expérience ALPHA procède par spectroscopie de l'antihydrogène, en mesurant les fréquences des transitions dans l'antiatome à l'aide de lumière laser ou de micro-ondes. Si les résultats correspondent à ceux de l'hydrogène ordinaire, la mesure est compatible avec la symétrie CPT. Ces fréquences, mesurées en Hertz (un Hertz équivalant à un événement par seconde) correspondent aux intervalles de niveaux d'énergie dans les atomes et aux raies spectrales qui apparaissent lorsque se produisent des transitions quantiques entre les niveaux. Pour comparer avec précision matière et antimatière, il faut pouvoir déterminer les fréquences avec une précision extrême, ce qui nécessite des horloges ultra-précises. C'est pourquoi une horloge à césium vient d'être installée dans ALPHA ; par ailleurs, une nouvelle liaison par fibre optique entre l'expérience et l'Institut national de métrologie français à Paris est désormais opérationnelle. L'horloge et la liaison optique permettront d'améliorer de plusieurs ordres de grandeur la précision des mesures d'antihydrogène effectuées par ALPHA.

« Pour notre mesure précédente de la transition entre l'état fondamental et le premier état excité de l'antihydrogène, nous avons utilisé une horloge plus simple, constituée d'un oscillateur à quartz utilisant un signal GPS comme référence de fréquence, et nous avons atteint une précision de 2 ×10-12 sur la fréquence de transition, explique Janko Nauta, physicien de la collaboration ALPHA. Or, la mesure équivalente sur l'hydrogène, réalisée quelques années avant notre mesure sur l'antihydrogène, a été effectuée par un laboratoire de recherche à une précision encore plus élevée, à savoir 10-15). C'est pourquoi il nous fallait une meilleure horloge pour rechercher les différences potentielles entre la matière et l'antimatière. »

Accelerators
La seconde SI est définie comme la durée de 9 192 631 770 oscillations entre deux niveaux de l'état fondamental de l'atome de césium-133. En 2022, les chercheurs d'ALPHA ont reçu et installé une horloge à césium, qui leur indique exactement la durée d'une seconde. (Image : CERN)

« Pour ALPHA, la liaison par fibre optique et l'horloge à césium jouent un rôle important parce qu'elles permettent de réaliser des mesures de l'antihydrogène avec une précision équivalente à celle des mesures de l'hydrogène, poursuit J. Nauta. Nous nous réglons sur l'horloge, mais la liaison permet de réduire le bruit et aussi de mieux évaluer l'horloge à long terme, pour vérifier qu'elle reste juste. De plus, cette liaison permettra d'utiliser à l'avenir des signaux provenant d'horloges quantiques optiques, présentant une meilleure stabilité que les horloges qui réalisent actuellement la seconde SI ».

La liaison fait partie du programme REFIMEVE+, qui prévoit de fournir une référence de fréquence optique ultra-stable à des laboratoires de recherche dans toute la France et au-delà des frontières, au moyen des câbles optiques existants sur le réseau internet français. Elle s'inscrit dans la phase pilote d'un nouveau projet visant à connecter plusieurs expériences du CERN à REFIMEVE+. On pourrait ainsi améliorer la précision des horloges du CERN, et le Laboratoire disposerait d'un nouveau moyen d'accéder au temps universel coordonné (UTC), la norme mondiale en matière de mesure du temps. Le signal optique de la liaison peut être synchronisé avec l'UTC de manière plus précise que le signal GPS actuellement utilisé au CERN.

« Dans le cadre de l'initiative Technologie quantique du CERN, il est prévu de travailler à la possibilité de faire parvenir au CERN des signaux de fréquence plus précis en provenance d'autres instituts nationaux de métrologie, pour les distribuer à toutes les expériences intéressées, explique Edoardo Martelli, du département informatique du CERN. Le fait d'avoir plus de sources permet une synchronisation plus précise des horloges locales, ce qui rend le service plus robuste. »

La mesure la plus récente par ALPHA de la transition entre l'état fondamental et le premier état excité du noyau de thorium-229 a imposé des contraintes plus strictes sur les violations de la symétrie CPT, par rapport à la mesure précédente. Avec cette nouvelle liaison optique, la collaboration espère pouvoir soumettre la symétrie CPT à des tests encore plus rigoureux.