View in

English

Un thermomètre pour protoDUNE

Un thermomètre géant permet de mesurer la température de l'argon liquide contenu dans un immense prototype de détecteur de neutrinos

|

A metallic tube is seen stretching diagonally across the screen. A blurred man in a white hardhat is seen closest to the camera. More people are working further back. A white panel onthe left side has the words PanGas on it.

Ce thermomètre de 7,5 mètres de long mesure simultanément 48 températures différentes, ce qui permettra aux scientifiques de surveiller le système de refroidissement et de filtration du détecteur à argon liquide protoDUNE-SP (Image : Roberto Acciarri)

Au début du mois, des grutiers du CERN ont inséré dans l'un des prototypes destiné à la future expérience DUNE (Deep Underground Neutrino Experiment) un thermomètre de 7,5 mètres de long conçu sur mesure. On aurait dit qu'ils glissaient simplement une paille argentée dans une immense brique de jus de fruit ; la conception et l'installation de cet instrument complexe sont pourtant loin d'avoir été un jeu d'enfant.

Le thermomètre a été construit par l'Instituto de Física Corpuscular de Valence (Espagne), puis expédié au CERN en trois parties. Il mesure 12,5 cm de diamètre, et le trou par lequel il a été inséré permet une marge de manœuvre de moins de 2 cm. Le thermomètre est à présent suspendu à la paroi supérieure d'un gigantesque cryostat destiné à protoDUNE-SP, l'un des deux prototypes de détecteurs à argon liquide de l'expérience DUNE. Celle-ci étudiera les neutrinos, des particules subatomiques, en mesurant la lumière et les nuages d'électrons qu'ils produisent lorsqu'ils traversent d'énormes cuves remplies d'argon liquide.

Le thermomètre a pour fonction de mesurer la température de l'argon liquide contenu dans le réservoir à 48 profondeurs différentes, ce qui permettra aux scientifiques de vérifier que le système de filtration et de refroidissement du détecteur fonctionne comme prévu.

« L'argon circulera en boucle à travers un système extérieur de filtration et de refroidissement qui préservera sa pureté et maintiendra sa température autour de -196 degrés Celsius, explique Anselmo Cervera, un scientifique de l'Instituto de Física Corpuscular ayant participé à la conception et à la construction du thermomètre. Il faudra environ cinq jours et demi à l'argon pour faire le circuit complet à travers ce système, et, par conséquent, sa température variera constamment en fonction de la profondeur. Grâce à des simulations, nous connaissons les températures que nous devrions avoir pour chaque profondeur. Si les mesures effectuées et les prédictions concordent, cela indiquera clairement que le système de filtration et de refroidissement fonctionne bien. »

Pour Anselmo Cervera, ce point est d'une importance capitale, car les impuretés (telles que les molécules d'oxygène ou d'eau) auront pour effet de « manger » les électrons émis par les neutrinos lors de leur passage, et donc de détruire leur signal. « Notre objectif est d'avoir moins de 10 molécules d'eau pour mille milliards d'atomes d'argon », précise-t-il.

Le thermomètre est composé d'un squelette en fibre de verre et de 48 capteurs en platine disposés le long de sa « colonne vertébrale ». L'instrument est entouré d'une cage de Faraday, structure métallique empêchant les décharges électriques entre le thermomètre et les autres parties du détecteur. 

Ce thermomètre permet de mesurer les températures relatives de l'argon liquide à l'intérieur du cryostat à 48 profondeurs différentes, avec une précision de l'ordre de 0,003 degrés Celsius, 100 fois meilleure que celle des thermomètres communs. « Une fois l'étalonnage minutieux des capteurs en platine réalisé, nous pouvons calculer tout changement de température en mesurant les variations de leur résistance électrique », poursuit Anselmo Cervera.

Les grutiers ont dû faire preuve d'une très grande précision pour insérer le thermomètre de 7,5 mètres de long dans une ouverture minuscule, qui leur laissait une marge de manœuvre de moins de deux centimètres. (Image : Roberto Acciarri)

Le cryostat du détecteur protoDUNE-SP possède un second thermomètre, qui mesure lui aussi 7,5 mètres de long et compte 22 senseurs. Pour ce thermomètre, construit par l'Université de Hawaii et le Fermilab, une autre technique est utilisée pour étalonner les capteurs et prendre des mesures très précises de la température à différentes profondeurs. 

« Comme nous n'aurons pas accès au thermomètre, lorsqu'il sera installé à l'intérieur du cryostat, pour vérifier les mesures qu'il donnera, nous avons imaginé une façon d'étalonner ses capteurs, qui consiste à déplacer le thermomètre dans l'argon liquide, vers le haut et vers le bas, sur une longueur de 1,5 mètres, explique Jelena Maricic, qui est professeure à l'Université de Hawaii et a participé à la conception et à l'élaboration de ce deuxième thermomètre. Cela nous permettra de comparer les mesures prises par les capteurs à différentes profondeurs, et donc de vérifier que ceux-ci sont calibrés correctement. »

Le test de ces deux dispositifs situés à l'intérieur du détecteur protoDUNE-SP sera une étape importante dans la mise au point des technologies de l'expérience DUNE, laquelle se trouvera à 1,6 km sous terre et comportera quatre détecteurs 20 fois plus grands que leurs prototypes, ces derniers étant déjà des cubes dont les arêtes mesurent 8 m.