Lors d’une conférence donnée au CERN cette semaine, la collaboration ATLAS auprès du Grand collisionneur de hadrons (LHC) a annoncé avoir observé des quarks top dans des collisions entre des ions plomb : c’est la première fois que ce processus est observé dans des interactions entre noyaux atomiques. Cette observation marque une avancée importante en physique des collisions d’ions lourds : elle ouvre la voie à de nouvelles mesures du plasma quarks-gluons créé au cours de ces collisions, et apporte de nouveaux éléments sur la force forte, qui maintient ensemble protons, neutrons et autres particules composites.
Dans le plasma quarks-gluons, les composants fondamentaux des protons et des neutrons que sont les quarks (particules de matière) et les gluons (vecteurs de la force forte), au lieu d’être maintenus ensemble à l’intérieur de particules, existent dans un état « déconfiné » de la matière, formant un fluide d’une densité presque parfaite. Les scientifiques pensent que le plasma quarks-gluons remplissait l’Univers juste après le Big Bang, et c’est pourquoi son étude pourrait donner une idée des conditions qui prévalaient dans les premiers instants de l’Univers. Cependant, le plasma quarks-gluons issu des collisions d’ions lourds a une durée de vie extrêmement courte (environ 10−23 seconde), si bien qu’il n’est pas possible de l’observer directement. Pour sonder ses propriétés, les scientifiques doivent donc étudier les particules qui sont produites lors de ces collisions et traversent le plasma.
Le quark top, en particulier, est un moyen très prometteur d’étudier l’évolution du plasma quarks-gluons dans le temps. La plus lourde des particules élémentaires connues, le quark top se désintègre en d’autres particules à une vitesse supérieure d’un d’ordre de grandeur au temps nécessaire à la formation du plasma. L’écart de temps entre la collision et les produits de la désintégration du quark top qui interagissent avec le plasma pourrait être utilisé comme « marqueur temporel », donnant une occasion unique d’étudier la dynamique temporelle du plasma quarks-gluons. En outre, on pourrait en tirer de nouvelles informations sur les fonctions de distribution des partons nucléaires, qui décrivent comment l’impulsion d’un nucléon (proton ou neutron) est répartie parmi les quarks et les gluons qui le constituent.
Dans leur nouvelle étude, des scientifiques d’ATLAS ont étudié des collisions d’ions plomb produites à une énergie de 5,02 téraélectronvolts (TeV) par paire de nucléon, au cours de la deuxième période d’exploitation du LHC. Ils ont observé la production de quarks top dans le « canal dilepton », dans lequel ces particules se désintègrent en un quark b et un boson W, lequel se désintègre ensuite en un électron ou un muon et un neutrino associé. Ce résultat a une signification statistique de 5,0 écarts-types, ce qui en fait la première observation de la production d’une paire de quarks top dans des collisions noyau-noyau. La collaboration CMS avait déjà montré des indices probants de ce processus dans les collisions plomb-plomb.
Cette observation a été rendue possible grâce aux capacités de l’expérience ATLAS de reconstituer précisément les interactions de lepton, ainsi qu’à d’autres éléments, notamment : le grand volume de données issues de la deuxième campagne complète d’exploitation plomb-plomb ; des estimations, fondées sur des données, des processus de fond pouvant imiter le signal recherché ; de nouvelles simulations des événements faisant intervenir des quarks top ; des méthodes spécifiques d’étalonnage des jets. Il faut signaler que l’analyse ne repose pas sur des techniques d’étiquetage du jet provenant du quark b. Il serait donc possible de l’utiliser pour étalonner l’étiquetage du quark b, connu pour être difficile, dans les collisions d’ions lourds, améliorant ainsi les futures mesures des quark top issus de ces collisions.
Des scientifiques d’ATLAS ont mesuré le taux de production (« section efficace ») de paires de quarks top, avec une incertitude relative de 35 %. L’incertitude totale est avant tout déterminée par la taille de l’ensemble de données : grâce aux nouvelles données sur les ions lourds issues de la troisième période d’exploitation, on obtiendra une précision accrue.
Les résultats récents d’ATLAS ouvrent de nouvelles perspectives dans l’étude du plasma quarks-gluons. Dans de futures études, des scientifiques d’ATLAS se pencheront également sur le canal de désintégration semi-leptonique des paires de quarks top dans les collisions d’ions lourds, ce qui pourrait donner un premier aperçu de l’évolution du plasma quarks-gluons dans le temps.