Les neutrinos sont produits en abondance lors des collisions dans le Grand collisionneur de hadrons (LHC). Pourtant, jusqu’à présent, aucun neutrino produit de cette manière n'avait encore été détecté. Neuf mois à peine après le démarrage de la troisième période d'exploitation du LHC et le début de sa campagne de mesures, la collaboration FASER a changé la donne en annonçant, lors de la session des Rencontres de Moriond consacrée aux interactions électrofaibles, avoir observé pour la première fois des neutrinos produits dans des collisionneurs. FASER a en particulier observé des neutrinos muoniques et des événements candidats pour le neutrino électronique. « Notre signification statistique est de 16 sigmas environ, bien au-delà des 5 sigmas, seuil à partir duquel on parle de découverte en physique des particules », explique Jamie Boyd, l'un des porte-parole de l'expérience FASER.
Outre son observation de neutrinos dans un collisionneur de particules, l’expérience FASER a présenté de nouveaux résultats sur la recherche de photons noirs, fixant des limites sur un espace de paramètres jusqu'alors inexploré, et a pu commencer à exclure certaines régions. L'expérience FASER a pour objectif de collecter jusqu'à dix fois plus de données au cours des prochaines années, ce qui lui permettra d’intensifier ses recherches ainsi que ses mesures du neutrino.
FASER est l'une des deux nouvelles expériences installées de part et d'autre de la caverne d'ATLAS pour détecter les neutrinos produits lors des collisions de protons à ATLAS. L'expérience complémentaire, SND@LHC, a elle aussi fait part de ses premiers résultats lors des Rencontres de Moriond, à savoir l'observation de huit événements candidats pour le neutrino du muon. « Nous continuons à évaluer les incertitudes systématiques sur le bruit de fond. En tant que résultat très préliminaire, notre observation peut revendiquer une signification statistique de 5 sigmas », ajoute Giovanni De Lellis, porte-parole de SND@LHC. Le détecteur SND@LHC a été installé dans le tunnel du LHC juste à temps pour le démarrage de la troisième période d'exploitation du LHC.
Jusqu'à présent, les expériences sur les neutrinos n'ont étudié que les neutrinos provenant de l'espace, de la Terre, de réacteurs nucléaires ou d'expériences à cible fixe. Alors que les neutrinos astrophysiques, comme ceux qui peuvent être détectés par l'expérience IceCube au pôle Sud, sont fortement énergétiques, les neutrinos solaires et ceux provenant de réacteurs ont généralement une énergie plus faible. Les neutrinos produits par les expériences à cible fixe, telles que celles de la zone Nord et de l’ancienne zone Ouest du CERN, ont une énergie allant jusqu'à quelques centaines de gigaélectronvolts (GeV). En couvrant une gamme d'énergies allant de quelques centaines de GeV à plusieurs TeV, les expériences FASER et SND@LHC combleront l’intervalle inexploré entre les neutrinos produits dans des collisions sur cibles fixes et les neutrinos astrophysiques.
L'un des territoires mal connus auxquels s’intéresseront ces expériences est l'étude des neutrinos de haute énergie provenant de sources astrophysiques. En effet, le mécanisme de production des neutrinos au LHC et leur énergie dans le centre de masse sont les mêmes que pour les neutrinos de très haute énergie produits lors des collisions de rayons cosmiques avec l'atmosphère. Ces neutrinos « atmosphériques » constituent un bruit de fond pour l'observation des neutrinos astrophysiques : les mesures réalisées par FASER et SND@LHC peuvent être utilisées pour estimer précisément ce bruit de fond, ouvrant ainsi la voie à l'observation des neutrinos astrophysiques.
Une autre application de ces recherches consiste à mesurer le taux de production des trois types de neutrinos. Les expériences testeront l'universalité de leur mécanisme d'interaction en mesurant le taux de différents types de neutrinos produits par le même type de particule mère. Il s'agira d'un test important du Modèle standard dans le secteur neutrino.
Visionnez une vidéo d'animation sur le fonctionnement du détecteur FASER et sa récente observation de premiers neutrinos dans un collisionneur de particules ci-dessous.