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Le premier résultat d'HIE-ISOLDE est doublement magique

Le premier résultat de l'accélérateur HIE-ISOLDE confirme que le noyau étain 132 appartient au groupe des noyaux doublement magiques

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The Miniball set up
Le système de détecteurs de rayons gamma MINIBALL auprès de l'accélérateur HIE-ISOLDE (Image: Maximilien Brice/CERN)

Les physiciens ne sont pas des magiciens, mais demandez-leur comment les protons et les neutrons sont organisés en noyaux atomiques et le qualificatif « magique » raisonnera certainement à vos oreilles. À l'instar des électrons qui remplissent une série de couches de différentes énergies, semblables à des rondelles d'oignon, autour d'un noyau atomique, les protons et les neutrons occuperaient chacun une série de couches à l'intérieur du noyau. Dans ce modèle nucléaire en couches, les noyaux dans lesquels les protons ou les neutrons forment des couches complètes, sans aucune place pour d'autres particules, sont qualifiés de « magiques », car ils sont plus stables que les noyaux voisins. Les noyaux composés de couches de protons et de neutrons complètes sont quant à eux qualifiés de « doublement magiques » et sont exceptionnellement stables.

Dans une étude publiée dans la revue Physical Review Letters, une équipe de chercheurs travaillant pour les collaborations MINIBALL et HIE-ISOLDE au CERN fournissent la première preuve directe que le noyau étain 132 (132Sn), considéré comme doublement magique, mérite effectivement cette qualification. Le résultat en question est le premier de l'accélérateur HIE-ISOLDE, récemment mis en service, et montre que cette machine est essentielle pour mieux comprendre le fonctionnement interne des noyaux atomiques.

Le noyau étain 132 possède 132 nucléons – 50 protons et 82 neutrons – et fait partie des 10 seuls noyaux, sur un total de 3 200 connus, à être qualifiés de « doublement magiques », servant de références pour tester le modèle nucléaire en couches. Qui plus est, dans la carte des nucléides, qui classe l'ensemble des noyaux connus selon leur nombre de protons et de neutrons, le noyau étain 132 se trouve à proximité des noyaux censés avoir été produits lors d'un processus d'astrophysique appelé « processus r », à l'origine de la création des éléments lourds dans le cosmos. Ce processus n'est pas entièrement compris ; l'étude du noyau étain 132 pourrait donc permettre de faire la lumière sur l'origine des éléments lourds dans le cosmos.

Les études consacrées précédemment à la nature doublement magique du noyau étain 132 étaient indirectes ; les scientifiques avaient déduit cette caractéristique en examinant les propriétés des noyaux voisins. Dans la nouvelle étude, l'équipe HIE-ISOLDE/MINIBALL a examiné de façon directe l’étain 132. Elle a extrait des isotopes étain 132 produits par l'installation ISOLDE, les a accélérés dans HIE-ISOLDE à une énergie de 5,49 MeV par nucléon, puis les a focalisés sur une cible de plomb 206 (206Pb) à l'intérieur du système de détecteurs de rayons gamma MINIBALL. Les nucléons ont ainsi été excités dans les noyaux étain 132 pour atteindre des états d'énergie plus élevés. Ces excitations collectives, qui se produisent rarement, se sont désintégrées avec l'émission de photons de rayons gamma, que MINIBALL a pu détecter.

En analysant le nombre de photons de rayons gamma détectés, les scientifiques ont mesuré pour la première fois les intensités de ces excitations. À partir de ces intensités, ils ont repéré des excitations plus prononcées dans le noyau étain 132 par rapport à celles de son noyau voisin. Cette caractéristique cruciale des noyaux doublement magiques, qui était prédite par le théorie, vient ainsi confirmer la nature doublement magique de l’étain 132.

« Si ces résultats ont été possibles, c'est grâce à l’association inédite de trois éléments : ISOLDE, l'installation principale pour la production d'isotopes radioactifs ; le nouvel accélérateur HIE-ISOLDE, qui fournit l'énergie idéale par nucléon pour ce type d'expérience ; et MINIBALL, qui est capable de détecter, avec une grande efficacité et une résolution en énergie supérieure, des rayons gamma à partir de la désintégration des excitations », explique Peter Reiter, membre de la collaboration MINIBALL.

Pour corroborer ces résultats, les chercheurs ont également comparé les intensités observées avec les résultats de plusieurs nouveaux calculs de pointe selon le modèle en couches théorique pour l’étain 132, et ont observé un accord remarquable entre les observations et les calculs, ce qui vient renforcer encore la conclusion selon laquelle l’étain 132 est doublement magique. Qui a dit que les physiciens n'étaient pas des magiciens ?