Après sept mois de collisions réussies entre faisceaux de protons pour rechercher de nouvelles particules fondamentales, le Grand collisionneur de particules (LHC) a commencé aujourd'hui à produire des collisions entre faisceaux de protons et d'ions lourds, les noyaux d'atomes de plomb.
L'étude de ces collisions asymétriques permettra aux physiciens d'en savoir plus sur l'état de l'Univers quelques millionièmes de seconde après le Big Bang.
Durant cette courte période, l'Univers s'est rempli de particules de toute sorte se déplaçant à une vitesse proche de celle de la lumière. Cette soupe était composée principalement de quarks, les constituants fondamentaux de la matière, et de gluons, porteurs de la force forte qui, dans des conditions normales, lie les quarks entre eux pour constituer les protons et les neutrons, particules bien connues. Dans les tout premiers instants qui ont suivi le Big Bang, à de très hautes températures et densités, les protons et les neutrons ne s'étaient toutefois pas encore formés et les quarks et les gluons n’étaient que faiblement liés et pouvaient se déplacer librement dans ce que l’on appelle le plasma de quarks et de gluons.
Les physiciens recréent habituellement ces conditions en faisant entrer en collision deux faisceaux composés du même type d'ions lourds, comme les ions plomb.
Mais, une nuit de septembre 2012, les physiciens du LHC ont choisi pour la première fois de faire entrer en collision deux faisceaux de particules différentes : des ions lourds et des protons, moins massifs. En analysant les données, les chercheurs ont constaté avec surprise qu'une partie des collisions présentaient des signes d'une expansion collective du système, une sorte de mini Big Bang, caractéristique des collisions plomb-plomb et associée généralement aux propriétés du plasma de quarks et de gluons. Mais c’était la première fois qu'on observait ce phénomène dans des collisions plomb-proton.
En 2013, un mois complet d'exploitation proton-plomb a ensuite permis de confirmer ces premières observations.
Cette année, les faisceaux de protons et de plomb entreront en collision à deux énergies différentes : d'abord à 5,02 TeV, puis à 8,16 TeV, l'énergie maximale. L'énergie la plus faible correspond à celle des collisions plomb-plomb de 2015 et des premières collisions proton-plomb, ainsi qu'à celle de certaines collisions proton-proton. Les chercheurs seront ainsi en mesure de faire des comparaisons directes entre ces trois types de collisions.
« Le LHC n’a pas été conçu pour des collisions proton-plomb ; toutefois, aujourd’hui, ce type de collisions présente un intérêt pour la physique plus important qu'on ne pouvait l'imaginer. Toutes les expériences ont rejoint le programme, y compris LHCb, qui n'était pas à l'origine une expérience consacrée aux ions lourds », explique John Jowett, physicien au CERN, spécialiste des accélérateurs et responsable du programme ions lourds au LHC.
Si toutes les expériences enregistreront des données, les collisions à plus faible énergie serviront principalement aux scientifiques de l'expérience ALICE du CERN, qui souhaitent recueillir davantage de données précises en multipliant les événements afin d'obtenir de meilleures statistiques qu’en 2013.
« Ces collisions vont peut-être nous permettre de comprendre un nouvel aspect de ce phénomène. En effet, comprendre comment la matière soumise à l'interaction forte se comporte au sein d'un système proton-ion, plus simple, pourrait nous aider à comprendre comment le plasma de quarks et de gluons se forme », explique Federico Antinori, porte-parole élu de l'expérience ALICE.
Les ions plomb ont une charge 82 fois plus importante que celle des protons et sont 206,4 fois plus massifs. Faire entrer en collision des faisceaux asymétriques, aux propriétés et à la durée de vie très différentes, pose de nombreux défis aux physiciens et aux opérateurs de l'accélérateur LHC. D'importants travaux d'ingénierie ont été effectués en amont, lors de l'arrêt technique de la semaine dernière, et des modifications spéciales ont été apportées à l'instrumentation de faisceau du LHC et aux systèmes responsables de l'injection du faisceau.
« On pensait que cela n'avait aucune chance de fonctionner, étant donné que des particules de différents types se déplacent à des vitesses différentes le long du LHC. En effet, à l'énergie injection, le faisceau de plomb est légèrement plus lent que les protons. En une minute, il fait donc sept tours de moins que les protons, qui en font 674 729). Nous avons résolu ce problème en 2012, mais la physique des faisceaux et les réglages opérationnels restent des sujets compliqués et quelque peu méconnus », poursuit John Jowett.
« C'est la première fois depuis 2013 que nous produisons des collisions plomb-proton. Elles nous permettent de recueillir des données importantes pour l'interprétation des résultats des collisions plomb-plomb, explique Frédérick Bordry, directeur des accélérateurs et de la technologie au CERN. C'est également la dernière exploitation avec ions prévue jusqu'en 2018 ».
Pour en savoir plus sur l'origine des ions plomb, lire l'article suivant : « Heavy metal: Refilling the lead source for the LHC » (en anglais)